Mardi de la CLEF #33 : Être une mère solo : La difficile conciliation des charges familiales et des charges financières.

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Mardi de la CLEF #33 : Être une mère solo : La difficile conciliation des charges familiales et des charges financières.

 


Être une mère solo : la difficile conciliation des charges familiales et des charges financières.

 

Mardi 2 avril, la CLEF a reçu Laure Skoutelsky, consultante et créatrice du site MonoparentalitéS, Stéphanie Lamy, co-fondatrice du collectif Abandon de famille – Tolérance Zéro, Auriane Dupuy, chargée du plaidoyer et des relations presse de la Fédération nationale des CIDFF, et Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques à la Fondation des Femmes. La discussion était modérée par Céline Thiebault Martinez, présidente de la CLEF et le débat a porté sur la difficulté des mères solos à concilier d’un côté les charges financières nécessaires à l’entretien du foyer, et de l’autre les charges familiales nécessaires au fonctionnement du foyer.

 

Si la situation des mères solos ne paraît pas être un enjeu capital, même parmi les féministes, c’est que le sujet est mal connu. Commençons donc par quelques chiffres, que nous a rappelé la présidente de la CLEF. En France, un quart des familles sont monoparentales soit 1,9 million de familles. Sur ces 1,9 million, 82% d’entre elles sont tenues par des femmes, et dans 32,8% des cas elles vivent sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire en situation de précarité et de vulnérabilité. Néanmoins, Céline Thiebault Martinez a rappelé que les enjeux liés à la situation des mères solos n’étaient pas exclusivement liés à la précarité mais dépassaient cette problématique, et qu’il s’agissait plus largement d’une question d’égalité. Or, la situation des mères solos est un véritable impensé politique, social et scientifique.

 

Notre intervenante Laure Skoutelsky a réalisé une étude pionnière sur le sujet en 2017 qui a exposé l’étendue des problématiques qui sous-tendent la situation des mères solos. Elle rappelle que l’histoire des mères solos débute en 1975, date de l’adoption du mariage par consentement mutuel qui permet aux femmes de se libérer de leur mari, et de prendre la tête du foyer. Or, la prise en charge complète du foyer : à la fois financière et structurelle, est impossible dans le système capitaliste néolibéral. Les mères se retrouvent à devoir faire un choix impossible : travailler ou s’occuper de leurs enfants. Certaines arrêtent de travailler, d’autres trouvent des emplois à temps partiel, et d’autres deviennent auto entrepreneur afin d’avoir des horaires plus flexibles. Or, dans le système qui est le nôtre, une diminution du temps de travail équivaut à une perte de revenus. Déjà que suite à un divorce, 20% des femmes tombent sous le seuil de pauvreté.

Par ailleurs, Laure Skoutelsky analyse de façon très intéressante le rejet social et la stigmatisation des mères solos en montrant que leur existence même est un pied de nez au modèle patriarcal qui voudrait qu’il y ait des compétences familiales genrées. L’existence même des mères solos, est la preuve que ce modèle est une idéologie, et que celle-ci est déficiente.

 

Si les mères solos sont un impensé politique, c’est aussi le résultat de la conception selon laquelle le couple serait un noyau solidaire, ce que l’on observe avec le phénomène de conjugalisation. Floriane Volt nous a montré que, dans un couple, si une personne doit toucher une prime d’activité, elle ne la percevra pas si elle vit en couple avec quelqu’un gagnant davantage qu’elle. Egalement, un individu paiera moins d’impôts si sa partenaire gagne moins que lui. Or, ce système privilégie les hommes puisque dans 75% des couples hétérosexuels les femmes gagnent moins que les hommes. Dans 75% des cas, ce sont donc elles qui ne touchent pas les primes d’activité, et ce sont leur mari qui bénéficie des réductions d’impôts. L’Etat, par son choix de redistribution des richesses, choisit non seulement de précariser les femmes, mais également, de faire profiter les hommes de la précarité des femmes. Le préjugé du noyau solidaire est donc dangereux car il crée de la dépendance et fabrique des violences économiques au sein du couple avant même le divorce. Or, rappelons qu’aujourd’hui 46% des couples mariés finissent par divorcer.

Stéphanie Lamy partage cette analyse selon laquelle la précarité des femmes se construit tout au long de la vie de couple, avant d’être actée par la séparation. Mais elle va plus loin en affirmant que, non seulement l’Etat fabrique la précarité des femmes, mais en plus il refuse de pénaliser les hommes coupables de violences économiques. En effet, depuis 2012, il est établi que le recouvrement des contributions alimentaires* doit se faire à l’amiable, et qu’il ne doit pas être imposé comme au Canada par exemple où les contributions alimentaires sont prélevées à la source par les impôts.  A l’inverse en France, le non versement des contributions n’est pas pénalisé. Or, s’il n’est pas pénalisé par la justice, c’est qu’il est toléré. Ainsi, en tant que société, on considère qu’il est acceptable que les hommes ne participent pas, au moins financièrement, à élever leurs propres enfants. La preuve en est que les contributions alimentaires sont défiscalisées pour celui qui les verse, comme s’il s’agissait d’un don, et fiscalisées pour celle qui les reçoit, comme s’il s’agissait d’un revenu. Il est clair que les violences économiques sont un angle mort des politiques publiques.

 

C’est justement pour adresser cette absence de politiques publiques que la Fédération nationale de CIDFF a réalisé un plan d’action de 15 recommandations, présenté à notre conférence par Auriane Dupuy. En effet, la FNCIDFF s’est rendue compte que 70% des personnes demandant de l’aide, peu importe le sujet ou la thématique, étaient des mères solos. Comme recommandations, la FNCIDFF propose par exemple le doublement des congés pour enfant malade, de faciliter l’attribution de logements sociaux, et surtout la création d’un statut de « parent isolé » qui permettrait d’accéder à davantage de droits et d’avantages financiers. Pourtant, la création d’un statut fait débat parmi les intervenantes. Stéphanie Lamy craint notamment l’essentialisation des mères solos, et rapporte des cas où des femmes ont perdu des aides sociales parce qu’elles étaient en couple ou parce qu’elles avaient des relations sexuelles. Pour elle, la seule possibilité pour que le statut puisse fonctionner est qu’il soit premièrement déclaratif, pour éviter les contrôles abusifs, et deuxièmement bien distingué du fait d’être en couple ou non.

En effet, il est important de soigner le vocabulaire employé pour parler des mères solos. On entend beaucoup le terme de « mère célibataire », or, une femme peut très bien être divorcée, avoir seule la charge financière et familiale de ses enfants, et être en couple. Également, le terme de « mère isolée » sous-entend que ces femmes s’isoleraient, or c’est la société qui les rejette et les stigmatise. Egalement, les termes “célibataire” ou “isolée” sous-entendent qu’une famille ne serait pas complète ou entière sans la présence d’un homme. Les “mères solos” remettent en cause le schéma familial patriarcal, et c’est pourquoi nous préférons ce terme. Enfin, le terme de « pension alimentaire » nous semble également problématique puisqu’il ne s’agit pas d’une allocation versée par le père servant à faire vivre la mère mais du remboursement des frais déjà avancés par la mère assurant le bien-être de l’enfant. Nous préférons donc employer le terme de « contribution alimentaire ».

 

 

 

* La CLEF fait le choix d’utiliser le terme de « contribution alimentaire » et non de « pension alimentaire » car il ne s’agit pas d’une allocation versée par le père servant à faire vivre la mère mais du remboursement des frais déjà avancés par la mère assurant le bien-être de l’enfant.

 

 

 

Retrouvez la conférence en replay ici