Revue de presse féministe & internationale du 23 au 29 mars

Mardi de la CLEF #33 – La précarité des mères solos : la difficile conciliation des charges familiales et des charges financières
27 mars 2024
Mardi de la CLEF #33 : Être une mère solo : La difficile conciliation des charges familiales et des charges financières.
4 avril 2024
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Revue de presse féministe & internationale du 23 au 29 mars


GAMBIE

Le parlement vote pour la fin de l’interdiction de l’excision.

Lundi 18 mars, l’Assemblée nationale gambienne a voté avec une grande majorité pour qu’une loi abrogeant l’interdiction de l’excision soit présentée et soumise au vote avant la mi-juin. Cette pratique barbare avait été interdite en 2015 par l’ancien dictateur Yahyah Jammeh.

En 2024, selon un rapport complet de l’UNICEF sur le sujet des mutilations sexuelles féminines, plus de 230 millions de femmes et filles sont des survivantes de mutilations génitales féminines (MGF). L’organisation non gouvernementale constate même une augmentation de 15% des MGF depuis 2016. Environ 4 millions de filles subissent cette pratique chaque année.

L’Afrique est le continent où l’on observe le plus de MGF, avec 144 millions de survivantes. Le pourcentage de femmes âgées de 15 à 49 ans ayant subi des mutilations s’élève déjà à 73% en Gambie, malgré l’interdiction de la pratique. Et la grande majorité de ces mutilations sont réalisées avant l’âge de cinq ans. L’application de cette interdiction est déjà difficile à faire respecter, mais sans cadre légal l’interdisant, nous craignons une augmentation des violences sexuelles à l’encontre des femmes et des filles. 

C’est le député Almameh Gibba qui a proposé à l’Assemblée nationale ce projet de loi pour décriminaliser la pratique de l’excision. Il déclare vouloir : « préserver les principes religieux et sauvegarder les normes et les valeurs culturelles » du pays. Pour lui, l’interdiction de l’excision « est une violation directe du droit des citoyens à pratiquer leur culture et leur religion (…), la population gambienne étant majoritairement musulmane ».

La situation est très inquiétante pour deux raisons. Premièrement, l’Assemblée nationale a voté massivement en faveur de ce projet de loi (42 votes favorables sur 47 présents), ce qui laisse peu d’espoir sur l’issue du vote lorsque le texte passera à nouveau devant l’Assemblée d’ici trois mois. Et deuxièmement, que le député Almameh Gibba qui porte ce projet de loi est soutenu à la fois par le chef religieux musulman Abdoulie Fatty et par le Conseil suprême islamique de Gambie.

Le Conseil suprême islamique de Gambie fait d’ailleurs de la désinformation sur le sujet, refusant l’utilisation du terme de « mutilations », et affirmant qu’il s’agit exclusivement de « circoncision féminine ». Selon lui, il s’agirait « seulement » d’un « prélèvement d’une fine partie de clitoris ». Il s’agit là d’une véritable négation du réel et de la violence imposée aux femmes. Il ne s’agit nullement d’un « prélèvement », et celui-ci ne se limite évidemment pas à « une fine partie du clitoris ». Selon les régions et les pays, il y existe différents types de mutilations génitales, mais les analyses du rapport de l’UNICEF sont formelles : en Gambie on observe les pratiques les plus extrêmes en ce qui concerne les mutilations.

En Gambie, 12% des MGF sont la couture de la région génitale. Cette pratique condamne les femmes à l’enfer à chaque rapport sexuel. Chaque année, plus d’un demi-million de filles subissent cette pratique que l’UNICEF considère comme la forme la plus extrême des mutilations génitales féminines. Et 80% des MGF en Gambie sont la coupe de l’appareil génital féminin extérieur, allant du clitoris aux grandes et petites lèvres, qui sont totalement ensuite enlevées.

Ce vote massif de l’Assemblée nationale n’est pourtant pas représentatif de l’opinion de la société civile. En effet, en Gambie, 33% des hommes vivant avec une ou plusieurs femmes victimes de MGF considèrent que cette pratique devrait être interdite, comme 32% des femmes survivantes de MGF.

 

 

 

UNICEF, « Female genital mutilation », 2024.
Le Monde, « La Gambie suspendue à une possible relégalisation de l’excision », 21 mars 2017.

 

FRANCE

Aurore Bergé annonce son plan de lutte contre la prostitution au Sénat. 

Le 22 mars, la Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les hommes et les femmes et de la Lutte contre les discriminations a été interrogée par la délégation aux droits des femmes du Sénat. Elle a profité de cette occasion pour annoncer son plan de lutte contre la prostitution et elle a décrété que ce plan « portera la vision abolitionniste de la France ».

La présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat est Dominique Vérien, sénatrice de l’Yonne. Et, l’une des vice-présidentes du groupe est Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes sous le mandat de François Hollande.

En 2016, elle avait porté un projet de loi visant à adresser le problème de la prostitution. Ce texte de loi a supprimé de délit de racolage, qui mettait la faute pénale sur la victime du système prostitutionnel, et a criminalisé à la place le client-prostituteur. Elle a déclaré lorsque la loi est passée :

« La France affirme que […]l’achat d’actes sexuels est une exploitation du corps et une violence faite aux femmes.
Nous refusons le réglementarisme, selon lequel le commerce des femmes est un commerce comme un autre, qui n’exige que contrôle sanitaire et contrôles fiscaux.
Nous refusons le prohibitionnisme, tenant d’un ordre moral qui n’est pas le nôtre et qui criminalise les personnes prostituées.
Le modèle que nous avons choisi, c’est l’abolitionnisme. Depuis plus de cinquante ans, la France affirme une position abolitionniste de principe ».

Cependant, cette loi risquait de précariser et de rendre davantage vulnérables les femmes en situation de prostitution puisqu’elle allait de faite réduire le nombre de clients-prostituteurs. C’est pourquoi la loi avait prévu, en plus de la dépénalisation de la victime et de la criminalisation du coupable, un plan de réinsertion des femmes en situation de prostitution dans la société. Les femmes selon le texte de loi devaient pouvoir disposer d’un logement social, d’un suivi médical physique et psychologique, d’une aide à l’emploi et une aide financière à la réinsertion sociale, et pour les personnes en situation irrégulière, elles devaient pouvoir obtenir une autorisation provisoire de séjour d’au moins six mois.

Or, si ce plan n’est pas correctement mis en œuvre et appliqué pour venir en aide à ces femmes, alors elles sont condamnées non seulement à la précarité, mais également à la violence des hommes les plus agressifs qui se moquent de transgresser les lois. C’est pourquoi le 22 mars, Laurence Rossignol a donc pris la parole pour interroger Aurore Bergé sur la mise en place de cette loi, surtout dans le cadre de la tenue imminente des Jeux Olympiques qui risquent de s’accompagner de tourisme sexuel.

La Ministre chargée de l’Egalité entre les hommes et les femmes en a profité pour déclarer qu’elle annoncerait au printemps un nouveau plan de lutte contre la prostitution, rebondissant sur la tenue des Jeux :

« les Jeux Olympiques et Paralympiques sont à la fois un risque sur la question de la traite humaine et de la prostitution et, je l’espère, un levier qui va nous permettre d’alerter spécifiquement sur cette question-là ».

« L’idée est de s’inscrire totalement dans les pas de la loi de 2016 et de continuer à porter notre vision abolitionniste ».

Elle a terminé son intervention en déclarant que c’était : « un sujet absolument prioritaire ».

 

 

 

Site de Vie publique, « Déclaration de Mme Rossignol, sur la lutte contre la prostitution et les violences faites aux femmes », 6 avril 2016.
EU Reporter, « Loi prostitution: entrée en vigueur du parcours de sortie pour les travailleuses du sexe », 31 octobre 2016.
Public Sénat, « JO de Paris 2024 : Aurore Bergé annonce un plan anti-prostitution », 22 mars 2024.

 

CHILI

La loi contre les violences faites aux femmes entre dans la Constitution.

Le 6 mars était un jour de fête pour les féministes chiliennes et les féministes du monde entier : deux jours avant la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, une loi criminalisant les violences faites aux femmes est entrée dans la Constitution chilienne.

Déjà le 5 janvier, le président chilien Gabriel Boric avait signé la « Loi Karin » qui modifiait le Code du travail pour mieux prévenir et sanctionner le harcèlement dans le cadre professionnel. La loi vise un ensemble de pratiques sexistes malheureusement courantes dans le milieu professionnel. Elle s’attaque aux discriminations fondées sur le genre, au harcèlement moral et sexuel et à la violence au travail.

La grande avancée de cette loi est qu’elle a étoffé et élargi la définition de « harcèlement ». Auparavant, le harcèlement professionnel ne pouvait être établi qu’en cas d’actes répétés, c’est-à-dire qu’il fallait être en mesure de présenter une somme d’exemples de violences répétées visant à constituer un rapport de domination et d’intimidation de la victime.  Avec l’instauration de la nouvelle loi, les actes n’ont pas besoin d’être répétés : un seul acte de violence suffit à qualifier le harcèlement car un acte est un acte de trop.  Les entreprises et les institutions publiques ont désormais l’obligation d’élaborer des protocoles de prévention ainsi que des moyens d’investigation pour punir les cas de violence au travail.

Mais depuis le 6 mars, les droits des femmes ont fait une avancée encore plus impressionnante. Les féministes chiliennes travaillaient depuis sept ans conjointement entre associations militantes, parlementaires et avec le ministère chargé des droits des femmes et de l’égalité hommes-femmes. Auparavant, la loi contre les violences faites aux femmes ne s’adressait initialement qu’aux violences intra-familiales. Désormais, les cas de violences faites aux femmes peuvent être établis lorsqu’ils se déroulent en dehors du cercle familial. Egalement, le Service national de la femme et de l’égalité de genre, qui est un organe juridique, est renforcé par loi et pourra donc agir plus efficacement en proposant aux femmes des services juridiques gratuits.

Le texte élargit également la définition juridique des violences faites aux femmes en établissant que la violence de genre est « toute action ou omission causant la mort, des blessures ou souffrances à une femme en raison de son genre, sans distinction du lieu où elle se trouve, que ce soit dans l’espace public ou privé ; ou une menace ». Cette entrée dans la Constitution d’une telle définition est une véritable victoire féministe car le texte établit enfin la violence exercée contre les femmes pour la seule raison qu’elles sont des femmes, comme une violence spécifique. En effet, la loi ne peut se résoudre à être aveugle au genre puisque la violence, elle, ne l’est pas.

 

 

 

Association Henri Capitant , « Chili – 22 janvier 2024 », 22 janvier 2024.
Nouveaux Espaces Latinos , « Le Chili approuve une loi intégrale contre les violences faites aux femmes », 23 mars 2024.

 

FRANCE

Le congé menstruel est rejeté en commission à l’Assemblée nationale.

Mercredi 27 mars, l’Assemblée nationale a rejeté en commission une proposition de loi qui prévoyait jusqu’à treize jours de congé par an sans jour de carence pour les femmes souffrant de règles incapacitantes grâce à une ordonnance médicale.

En février 2023, il y a un an, l’Espagne a voté pour l’instauration d’un congé menstruel, libérant les femmes souffrant de règles incapacitantes de l’injonction à se rendre au travail. Elle est le premier pays d’Europe à avoir franchi ce pas, et nous espérions toutes mercredi que la France la suive dans l’engrenage des réformes progressistes.

Malheureusement, l’Assemblée nationale a rejeté ce texte. Les femmes continueront donc à se rendre au travail, condamnées à souffrir en silence, ou elles resteront chez elles et perdront une partie de leur revenu à cause des jours de carence. En effet, comme l’a rappelé Laurence Rossignol au Sénat le 15 février, les femmes souffrant de règles incapacitantes perdent en moyenne 10% de leur salaire à cause des délais de carence, lorsqu’elles sont dans l’obligation de poser des jours de congé.

Mais la proposition de loi a été rejetée en commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale. Le vote ne s’est joué à rien : 16 voix pour et 16 voix contre, le texte a été rejeté. Néanmoins, le texte sera à nouveau examiné le 4 avril, il nous faut donc lutter ensemble et faire pression autant que possible pour que celui-ci soit adopté !

Les femmes souffrant de maladies gynécologiques, comme l’endométriose par exemple, sont spécifiquement touchées par les douleurs, or une femme sur dix est touchée par cette maladie selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Il faut souligner qu’il ne s’agit pas d’instaurer un congé mensuel à toutes les femmes ayant leurs règles comme le soutiennent les détracteurs, mais de protéger les femmes souffrant de douleurs chroniques de l’invisibilisation et de la banalisation de la souffrance.

La ville de Saint-Ouen a déjà mis en place d’elle-même ce dispositif de congé menstruel pour ses agentes, soit 1 200 personnes. Grâce à ce dispositif, ces femmes peuvent, sur ordonnance médicale, bénéficier d’un certain nombre de jours de congé par mois (déterminé par le médecin) sans jour de carence, c’est-à-dire sans retenue de salaire. Résultats : 15% des femmes ont eu recours à cette possibilité.

La stratégie des détracteurs ou des opposants à cette avancée sociale est de volontairement confondre le congé menstruel pour les femmes souffrant de maladies gynécologiques et de règles incapacitantes, et un congé mensuel qui serait délivré universellement à toutes les femmes.

 

 

 

Compte X de Public Sénat, « Laurence Rossignol », 15 février 2024.
Le Monde, « Congé menstruel : une proposition de loi rejetée en commission à l’Assemblée nationale », 28 mars 2024.

« Endogirls », la BD qui met la lumière sur l’endométriose.

L’endométriose est une maladie gynécologique chronique qui se caractérise par la présence de muqueuse utérine, subissant les cycles menstruels et les modifications hormonales, en dehors de la cavité utérine. Cette maladie provoque des douleurs invalidantes. Ces douleurs sont si intenses qu’elles impactent totalement la vie professionnelle, sociale et intime des femmes qui en souffrent.

 Malgré le fait que cette maladie soit si répendue, puisqu’elle touche une femme sur dix, soit environ deux millions de femmes en France, elle est très méconnue, très difficile à se faire diagnostiquer si bien que les femmes touchées traversent un véritable parcours du combattant pour faire reconnaître médicalement leurs douleurs. La médecine, milieu très masculin et sexiste, ne s’étant pas intéressée au sujet, part souvent du principe que « les règles ça fait mal, c’est comme ça on n’y peut rien », ou bien que « les femmes en font trop, elles jouent la comédie ». Si vous subissez des douleurs lors de vos règles et que vous pensez souffrir d’endométriose, n’hésitez pas à consulter le site EndoFrance, l’association qui lutte contre l’endométriose, en cliquant ici.

Ainsi, la société et le corps médical ont longtemps laissé les femmes souffrir seules et en silence, d’où l’importance de reconnaître socialement ces douleurs en instaurant un congé menstruel. C’est pour mettre en lumière cette maladie de femme que la société voudrait cacher que Nathalie André et Violette Suquet ont souhaité raconter ce parcours : comment vit-on l’endométriose ? Elles racontent l’histoire de neuf femmes souffrant de cette maladie, de leur errance médicale, des violences gynécologiques, de la douleur, mais également de leur vie professionnelle, sociale et sexuelle.

Cette BD permet également de mettre en lumière la dyspareunie, c’est-à-dire les douleurs ressenties pendant l’acte sexuel, dont sont spécifiquement victimes les femmes souffrantes d’endométriose mais pas uniquement. En effet, l’enquête Endovie publiée en décembre 2021 a montré que 88% des femmes ont à un moment donné de leur vie souffert de dyspareunie, si bien que 55% en sont venues à redouter les rapports sexuels.

 

Le Monde, « Endométriose: « Endogirls », une BD sans taboue sur un sujet longtemps nié », 13 mars 2024.

Marie Portolano est une journaliste sportive et présentatrice de télévision. Elle commence d’abord à travailler pour M6 puis pour Canal+ et en 2021, elle sort un documentaire intitulé « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste ». Elle y dénonce les comportements sexistes et misogynes du milieu du journalisme sportif, non seulement dans la sphère professionnelle, mais également parmi la communauté des internautes suivant les émissions sportives.

Elle raconte la tentative de féminisation des plateaux de télévision qui n’est en fait qu’au service d’une entreprise de réification des femmes. Dans une interview donnée au média en ligne Simone elle déclare que « la femme est là pour habiller le plateau de télé ». Elle ne peut jamais être considérée comme une experte sur les sujets sportifs, elle ne peut qu’interroger des hommes possédant le savoir et lui expliquant, donc à elle la présentatrice, le déroulé des matchs, etc.

Le 13 mars 2024, elle a sorti un livre intitulé La femme du plateau publié aux éditions Stock dans lequel elle analyse certains phénomènes sociaux très intéressants, notamment le « syndrome de la schtroumpfette » à la télévision, c’est à dire la surreprésentation des hommes couplée à l’essentialisation des femmes. cela signifie que sous couvert de donner la parole aux femmes, il s’agit en réalité de les réduire exclusivement à leur qualité de femme. Si bien qu’une femme est interchangeable, et qu’elle peut aisément être remplacée par une autre.

 

 

 

Le Monde, « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste : le documentaire coup de poing de Marie Portolano », 15 mars 2024.