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Revue de presse féministe & internationale du 16 au 22 mars


KENYA

Les villages interdits aux hommes.

Au Kenya, des femmes victimes de violences ont décidé, pour assurer elles-mêmes leur propre sécurité, de créer des espaces interdits aux hommes. Ainsi, des villages entiers de femmes se sont constitués. Elles vivent entre elles, sans violence, en paix.

Depuis le début de l’année, la société civile kényane manifeste pour que soient mises en place des politiques publiques concrètes afin de lutter contre les féminicides croissants au Kenya. (Nous en avons déjà parlé dans un précédent article, n’hésitez pas à aller le consulter pour plus d’informations en cliquant ici). En 2022, l’Office des Nations Unies a comptabilisé 725 féminicides, le chiffre le plus élevé depuis 2015, première année de recensement des féminicides. En seulement un mois, janvier 2024, on a comptabilisé 16 féminicides, ce qui a poussé les femmes kényanes dans la rue et a secoué toute la société civile. En plus des féminicides, les femmes sont victimes de violences sexistes et sexuelles, avec notamment l’excision qui est encore largement pratiquée malgré son interdiction.

Des femmes kényanes en ont pris leur parti et ont trouvé une solution pour faire face à cette violence systémique : vivre uniquement entre femmes. Le village d’Umoja, à 300 km de Nairobi, est devenu un véritable refuge pour les femmes victimes de violences sexuelles, de viols, d’agressions, de mariages forcés et également de mutilations génitales.

Les premières femmes à avoir créé ce village étaient des victimes des viols pratiqués par l’armée britannique dans les années 1990. A la suite de ces violences, elles ont été répudiées par leur mari et leur famille, et n’ont eu d’autre choix que de tenter de vivre ensemble comme elles le pouvaient. Aujourd’hui, le village compte une quarantaine de femmes venues trouver refuge après avoir subi différentes formes de violences. Ces femmes tentent de sensibiliser à partir de leur expérience les populations environnantes sur les dangers du mariage forcé et de l’excision, qui est toujours largement pratiquée puisque 80% des femmes de la région sont excisées.

Le modèle économique du village repose sur deux éléments : l’élevage et l’artisanat, activités culturellement exclusivement masculines. Le système repose sur le fait que, les hommes ne laissent pas les moyens économiques aux femmes d’être libres et, par la charge financière, leur imposent domination. Les villageoises d’Umoja ont renversé les codes, ont pris en charge les activités productrices de richesses et, indépendantes, elles font le choix libre, sans pression ni domination de ne pas se marier et préfèrent vivre entre elles.

Pourtant, les femmes d’Umoja ont des enfants, notamment celles qui ont trouvé refuge au village après avoir été rejetées suite à un viol ou qui se sont enfuies. Mais certaines choisissent également de s’écarter du village pour avoir des relations sexuelles si elles le désirent.  En revanche, il est établi sous forme de règle que si les filles peuvent choisir de rester dans le village, à l’inverse, une fois grand, les garçons doivent le quitter, ils n’y sont pas admis. Et, grâce aux fonds récoltés par les bijoux qu’elles produisent et vendent aux touristes notamment, mais également aux villages environnants, elles ont construit une école pour les enfants.

D’autres villages se sont ainsi créés autour d’Umoja. Le village de Nang’ida par exemple, qui lui accepte la présence des hommes s’ils se plient à la volonté des femmes du village.

 

 

 

Le Monde, « Au Kenya, la mobilisation s’amplifie contre les violences faites aux femmes », 1er février 2024.
Jeune Afrique, « Kenya : Umoja, le village interdit aux hommes », 7 mars 2017.

 

EUROPE

En route vers une libéralisation de la prostitution ? 

Le 15 février 2024, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a publié une déclaration intitulée « Protecting the human rights of sex workers » appelant à la libéralisation de la prostitution et la décriminalisation du proxénétisme. Elle déclare avoir pris cette décision après s’être entretenue avec des personnes en situation de prostitution partout en Europe et leurs syndicats.

 

Dans cette déclaration elle déclare vouloir encadrer cette pratique afin de protéger les femmes victimes d’abus affirmant que:

They should have equal access to basic human rights, services, and legal protections, regardless of their chosen profession“.

« Elles devraient avoir un accès égal aux droits humains fondamentaux, aux services et aux protections juridiques, quelle que soit la profession qu’elles aient choisie ».

Or, malheureusement, souvent les personnes en situation de prostitution ne « choisissent » pas de se prostituer, et nous trouvons la banalisation de cette pratique, en la désignant comme une « profession », c’est-à-dire en l’assimilant à n’importe quelle autre occupation professionnelle, très dangereuse. En effet, elle revient à normaliser le viol rémunéré en réduisant la notion de consentement à un acte contractuel. 

Pour elle, la violence et les discriminations dont sont victimes les personnes en situation de prostitution sont dues à leur marginalisation qui compromet l’exercice de leur pratique et les rend vulnérables. Nous considérons, au contraire, que l’achat d’acte sexuel est une violence en lui-même et que le consentement ne peut pas être acheté. . Pour protéger les droits des femmes et les filles les pays de l’Union européenne doivent dépénaliser les personnes en situation de  prostitution et criminaliser l’achat d’actes sexuels ou autrement dit  le client-prostituteur.

La déclaration de la Commissaire est également choquante en ce qu’elle appelle à la décriminalisation du proxénétisme.

“The new law also decriminalises third parties, who will no longer be penalised for opening a bank account for sex workers or renting out accommodation, and it allows sex workers to advertise their services.”

 « La nouvelle loi décriminalise également les tiers, qui ne seront plus pénalisés pour l’ouverture d’un compte bancaire pour les travailleuses du sexe ou la location d’un logement, et elle permet aux travailleuses du sexe de faire de la publicité pour leurs services. »

La loi donc ne criminaliserait plus les parties tierces pour ouvrir des comptes en banque aux personnes en situation de prostitution ou pour louer des locaux afin qu’elles puissent pratiquer. Or, si la personne est en situation de prostitution agit de sa propre volonté, pourquoi aurait-elle besoin que quelqu’un lui ouvre un compte en banque ou loue une chambre pour elle ? Si elle n’est pas en capacité de le faire elle-même c’est qu’elle n’est pas autonome et qu’elle n’est donc pas librement en situation de prostitution. Ce discours est effrayant.

Alyssa Ahrabare, responsable juridique du Réseau européen des femmes migrantes, et porte-parole de l’association Osez le féminisme, membre de la CLEF, explique que 70% des femmes en situation de prostitution en Europe sont migrantes, et donc dans une position de grande vulnérabilité. Elles sont victimes de proxénètes qui vont justement profiter de cette vulnérabilité pour générer des profits.

Pour davantage d’informations sur les parcours et les vies des personnes en situation de prostitution, nous vous conseillons le podcast La Vie en Rouge, créé par l’association le Mouvement du Nid qui laisse la parole aux femmes ayant connu la prostitution. Si vous voulez écouter le premier épisode, cliquez ici.

Attention : le podcast relate des récits de violence qui peuvent être difficiles à entendre. TW.

 

 

Déclaration, « Protecting the human rights of sex workers », 15 février 2024.
EU Reporter, « Decriminalised prostitution systems are a cancer, and it had spread to the European Union and the Concil of Europe », 18 mars 2024.

 

FRANCE

 L’ordre des médecins se refuse à prendre ses responsabilités et radier les praticiens profitant de leurs patientes.

Le 18 mars, Médiapart a publié une étude menée sur les décisions rendues par l’ordre des médecins entre 2016 et 2021 concernant des « faits à caractère sexuel » et a pu observer des vices de procédures, un manque de sérieux et une profonde indifférence de l’institution à traiter ces sujets et à condamner les praticiens auteurs de violences.

En 2019, la Cour des comptes a publié un rapport sur les décisions rendues par l’ordre des médecins et a établi qu’entre 2014 et 2017 150 plaintes pour des faits à caractère sexuel avaient été déposées. 43% de ces plaintes sont rejetées, et le praticien n’est radié que dans 22% des cas.

Médiapart a réalisé son étude à partir de 86 décisions rendues entre 2016 et 2021 en appel pour des « faits à caractère sexuel ». Parmi ces 86 décisions, dans 48 cas, le praticien a reçu une interdiction temporaire d’exercer. Il a été radié dans 19 cas, et dans les mêmes proportions : 19 cas, il n’a reçu aucune sanction disciplinaire. Un seul praticien sur les 86 a reçu un blâme pour ses actions.  

Mais, si on rentre dans le détail des cas d’interdiction temporaire d’exercer, les sanctions sont en réalité très faibles. 18 ont été arrêtés moins de trois mois, 13, de quatre à six mois et 12 de sept à un an. C’est-à-dire que sur les 86 décisions rendues entre 2016 et 2021, seulement  cinq praticiens ont été condamnés à plus d’un an d’interdiction d’exercice.

C’est à juste titre que nous avons parlé plus haut d’une indifférence de l’institution face aux agressions et à la violence puisque les délais d’étude des cas sont anormalement, ou démesurément longs pour être plus précis. En fait, les délais sont tellement longs qu’ils n’ont pas d’impact puisque le praticien est déjà à la retraite. Sur 19 cas de radiation de l’ordre des médecins que nous avons évoqué, 3 ont été rendus alors que le praticien était déjà à la retraite.

Également, les plaintes donnent souvent lieu à une condamnation en seconde instance après avoir été rejetées en première instance. Les éléments restent sensiblement les mêmes, on ne peut expliquer ces rejets en première instance que comme une absence de volonté de se confronter aux dossiers et tout simplement de condamner leurs collègues. Le fait que les plaintes sont souvent rejetées dans un premier temps ne fait que rallonger encore les délais.

Également, plusieurs plaintes visent un même médecin, non condamné en première instance, qui récidive et qui est condamné en deuxième instance. Dans 1 cas sur 5, le praticien accusé avait déjà été signalé ou faisait déjà l’objet d’une plainte. Sur les 86 cas, 5 cas sont même une récidive d’un praticien après avoir reçu une interdiction temporaire d’exercer.

 

 

Médiapart, « Le parcours du combattant des patientes abusées par un médecin pour faire condamner leur agresseur », 18 mars 2024.

 

AFGHANISTAN

Le Parlement européen condamne l’apartheid sexiste.

Le 14 mars 2024, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les traitements discriminants et dégradants des femmes en Afghanistan orchestrés par les autorités de fait du pays. Il est très important que les institutions européennes prennent la mesure de la situation des femmes dans le pays.

Depuis la prise de Kaboul le 15 août 2021, les talibans sont au pouvoir en Afghanistan et ont remplacé le système judiciaire en place par l’application de la charia. Avant de rentrer dans davantage de détails, il nous faut préciser ce qu’est la charia. Il s’agit du « chemin », de la « voie à suivre » mentionnée dans le Coran. Ce terme n’est mentionné dans tout le Coran qu’à une seule occasion : sourate 45, verset 18. Dans ce verset, le texte invite son lecteur révélé à la loi divine à suivre le chemin prescrit par Dieu. Mais le Coran est un texte religieux et philosophique et non un texte de loi, et son expression est énigmatique. Alors que le but d’un texte de loi est d’être le plus précis et le moins confus possible, les livres saints fonctionnent sur un principe totalement inverse.

Les talibans en Afghanistan prétendent appliquer directement la loi divine mais en réalité ne font qu’interpréter le texte pour asseoir leur domination sur les femmes. Ils ont tout interdit aux femmes pour les gommer de la vie sociale, politique et économique du pays, elles sont cachées, invisibilisées comme pour les faire disparaître. Le régime veut faire des femmes des instruments au service des hommes. Il s’agit du même principe que l’esclavage : elles n’ont aucune liberté ni libre-arbitre, travaillent gratuitement, et sont à disposition pour répondre aux désirs de leur mari ou des membres masculins de leur famille. Les hommes les possèdent.

La résolution adoptée reconnaît ces discriminations et ces violences :

« considérant que les talibans ont pour ainsi dire effacé les femmes et les filles de la vie publique; que les restrictions de leurs droits comprennent le fait de leur interdire l’accès à l’emploi, aux déplacements et aux soins de santé à moins d’être accompagnées d’un homme de leur famille, d’interdire la poursuite des études au-delà de la sixième classe, de leur refuser l’accès aux espaces publics et au sport, de faire respecter avec violence un code vestimentaire strict et de démanteler le système de soutien pour les victimes de violence ». 


Et en conséquence le Parlement européen :

« condamne l’interprétation radicale et l’application de la charia par les talibans et la tentative d’effacement des femmes et des filles de la vie publique, qui équivaut à une persécution fondée sur le genre et à un apartheid sexiste; réclame le rétablissement immédiat de la pleine participation des femmes et des filles, sur un pied d’égalité et de manière effective, à la vie publique, et en particulier leur accès à l’éducation et à l’emploi; salue le courage des Afghanes et exprime toute sa solidarité avec elles ».

L’utilisation des formules « persécution fondée sur le genre » et « apartheid sexiste » sont très intéressantes. Elles illustrent bien que les femmes sont discriminées et violentées pour la seule raison que ce sont des femmes, et il est très important de le souligner et que le Parlement européen prennent la mesure de la situation et agissent en conséquence.

Néanmoins, l’utilisation du terme de « genre » tend à gommer la réalité qui est que ce sont les femmes qui sont victimes de cette situation, et non pas les hommes, et que ce sont toujours les femmes qui sont discriminées lorsque discrimination il y a. La situation inverse n’existe pas, il n’y a aucun précédent. Et si les femmes sont discriminées ce n’est pas en raison de leur identité de genre socialement construite, mais bien de leur sexe.

Egalement la formulation « apartheid sexiste » est claire puisque des discriminations à l’égard des femmes découlent en effet de cet apartheid. Mais, plus que ça, il aurait été plus juste de parler « d’apartheid sexuel », c’est-à-dire de discriminations fondées sur le sexe de façon catégorique et public. Autrement dit, le système discrimine les femmes parce qu’elles sont des femmes, c’est la cause première. Leur sexe en est l’origine, la cause première des discriminations auxquelles elles font face.

 

 

 

Résolution du Parlement européen, « L’environnement répressif en Afghanistan, notamment les exécutions publiques et les violences à l’égard des femmes », 14 mars 2024.

Françoise Gilot, exposée au musée Picasso.

Le musée Picasso accorde une salle à Françoise Gilot. Elle a été la femme de Pablo Picasso, la seule qui l’ait jamais quitté ce qui lui a valu le surnom de « la femme qui dit non », sous-entendu « la femme qui a dit non à Pablo Picasso”. Mais, il ne s’agit pas d’une muse, d’une inspiration du peintre mais bien d’une véritable artiste à part entière qui a été occultée par son mari. Pourtant, elle est très talentueuse, elle est exposée de son vivant à Paris, à Londres et à New York.

C’est un geste véritablement fort que le musée vient de réaliser. Lorsqu’elle a quitté Picasso, il a interdit à son musée de l’exposer et a demandé aux galeristes et aux personnes qu’il connaissait de ne pas acheter ses toiles. Aujourd’hui, il est important de réhabiliter Françoise Gilot dans l’art, car elle n’est pas la femme de Pablo Picasso, ni même « la femme qui dit non », c’est une artiste et c’est à ce titre qu’elle est exposée.

Cette exposition des tableaux de Françoise Gilot restera en place jusqu’au 12 mars 2027 au minimum selon le musée. Nous vous invitons à vous y rendre.

 

 

 

Beaux Arts, « Le musée Picasso honore Françoise Gilot en lui consacrant une salle dans son nouvel accrochage », 15 mars 2024.

Olivia Rodrigo n’a que 21 ans, elle est née en 2003, et elle est déjà autrice, compositrice, interprète, musicienne et actrice. Elle sort son premier album en 2021 puis son second en 2023, elle est massivement écoutée par les jeunes générations, notamment aux Etats-Unis. Et, mardi 12 mars, elle a distribué lors d’un concert organisé à Saint-Louis dans le Missouri des préservatifs et les pilules du lendemain à son audience.

Le Missouri fait partie des Etats interdisant aujourd’hui l’avortement aux Etats-Unis et tentant de démanteler la Planning Familial, ce qui limite grandement l’accès à la contraception. Elle avait donc voulu que pour son concert soit dressé un stand distribuant gratuitement des préservatifs et des pilules du lendemain. En tant qu’artiste engagée, elle se bat pour la gratuité des pilules du lendemain. Elle a également lancé le mois dernier la campagne « Funf 4 Good » pour protéger le droit des femmes à disposer de leur corps qu’elle finance avec les bénéfices de sa tournée. Pour cela, elle s’est associée au Réseau national des fonds pour l’avortement.

Les sénateurs américains du Missouri se sont indignés de cette action, en déclarant qu’elle avait distribué des pilules abortives. Or, la pilule du lendemain permet justement de ne pas tomber enceinte s’il y a un risque de grossesse suite à un rapport sexuel la veille ou l’avant-veille, mais elle ne provoque pas un avortement.Cet exemple montre bien en quoi les hommes qui votent les lois encadrant le corps et les droits des femmes n’ont en réalité aucune connaissance sur la base desquelles prendre des décisions sensées, et que ce n’est donc pas leur place de le faire, mais celle des femmes, pour elles-mêmes.

 

 

 

Le Parisien, « Face aux lois anti-avortement , la chanteuse Olivia Rodrigo distribue des pilules du lendemain dans ses concerts », 15 mars 2024.