Mardi de la CLEF #29 : Les femmes des Outre-mer

Revue de presse féministe & internationale du 10 au 17 novembre
17 novembre 2023
Revue de presse féministe & internationale du 17 au 24 novembre
24 novembre 2023

Mardi de la CLEF #29 : Les femmes des Outre-mer


Quelle présentation construire des femmes des Outre-Mer de différentes générations, de leurs aspirations, envies et besoins ? Quels sont les défis qu’elles ont à relever ? Quelles avancées ont été obtenues ces dernières années ?

Ce Mardi de la CLEF était organisé en partenariat avec l’association Femmes au-delà des Mers, qui vise à partager et transmettre le matrimoine des femmes d’Outre-mer. Il a réuni plusieurs intervenantes spécialistes des territoires ultramarins : Gisèle Bourquin, présidente de Femmes au-delà des Mers, Dominique Urbino, journaliste-chroniqueuse et écrivaine, Lamia Mounavaraly, co-fondatrice de l’association Aujourd’hui Les Citoyennes, et Sarah Mantah, membre de l’association Earthship Sisters, spécialiste égalité FH France/international, responsable de politiques publiques pour l’Etat français.

Céline Thiebault-Martinez, présidente de la CLEF et modératrice de la conférence, a rappelé l’importance du thème de ce Mardi de la CLEF : si beaucoup de féministes pressentent que des problématiques uniques touchent les femmes des Outre-mer, elles ne connaissent pas précisément les sujets qui touchent les femmes ultramarines. Cette conférence avait donc pour objectif de comprendre les problématiques clés auxquelles sont confrontées les femmes dans les territoires d’Outre-Mer, celles installées dans l’Hexagone et la manière dont elles répondent à ces enjeux. Elle abordera également la diversité des engagements des femmes ultramarines et l’importance de la transmission intergénérationnelle de leurs luttes.

Par la spécificité géographique des Outre-mer, les femmes de ces territoires sont en effet à la croisée des problématiques nationales et de celles plus spécifiques de leur bassin géographique (bassin carribéen, Océan indien…). L’influence des îles et pays voisins est donc tout aussi prégnante que celle de la culture française. Pourtant, comme le souligne Gisèle Bourquin, la culture unique des femmes des Outre-mer permet aussi d’apporter des solutions.

« Les femmes font marcher le monde mais les femmes des Outre-mer aussi font marcher le monde » -Gisèle Bourquin

 

Les problématiques spécifiques et l’accès aux droits des femmes des Outre-mer

Quelques chiffres sur les Outre-mer permettent d’illustrer en quoi les problématiques qui touchent les femmes de ces territoires sont les mêmes qu’en métropole, dans des dimensions différentes. Ainsi, si, comme ailleurs, les femmes vivent plus longtemps que les hommes, elles vivent moins que les femmes dans l’Hexagone. Un des grands fléaux des territoires ultramarins est la précarité liée à la monoparentalité, qui est majoritairement féminine, comme en métropole. Les freins qu’elle entraîne pour les femmes ultramarines sont cependant plus importants qu’en métropole. Tout comme un autre fléau, celui des violences sexistes et sexuelles. Concernant l’IVG, le recours à ce droit est plus élevé que dans l’Hexagone. Comme le souligne Sarah Mantah, la masse des femmes en politique est également importante. On observe une progression de la part des femmes dans tous les scrutins, y compris ceux où la parité n’est pas obligatoire. Dans le cas spécifique de la Polynésie française, plusieurs femmes sont ministres.

Les différences sont plus exacerbées dans le champ de l’emploi : dans les Outre-mer, le taux de chômage est deux fois plus élevé qu’en métropole. Les premières touchées par le chômage sont les femmes, notamment les jeunes femmes. D’abord pour des raisons démographiques : il y a davantage de familles monoparentales féminines, une entrée plus tôt dans maternité et un fort vieillissement de la population qui amène les femmes à devenir aidantes tôt dans leur carrière. Toutes ces raisons contribuent à l’interruption répétée des carrières des femmes. Les politiques mises en place pour y pallier ne sont pas spécifiques aux Outre-mer, et entrent en concurrence avec d’autres politiques, car le budget n’est pas suffisant. Depuis les années 2020, plusieurs programmes tentent de se concentrer sur l’emploi des femmes. La LADOM (L’Agence De l’Outre-mer pour la Mobilité) a ainsi lancé un programme ciblant les jeunes mères de famille monoparentale, mais aucune évaluation n’a encore été menée et son impact reste encore inconnu. En outre, beaucoup de ces programmes mènent à une ségrégation professionnelle des femmes voire à une dévalorisation de leurs compétences, lorsqu’elles sont contraintes de postuler à des emplois pour lesquelles elles sont surqualifiées. Lamia Mounavaraly insiste donc sur l’importance d’inclure une double perspective genrée et ultramarine dans les politiques d’emploi.

« C’est important d’avoir une vision genrée des politiques qui sont menées, ainsi qu’une vision ultramarine » -Lamia Mounavaraly

Sarah Mantah aborde la problématique cruciale des femmes et du climat. Les femmes ultramarines sont en effet plus en prise aux phénomènes climatiques. Dans l’agenda articulant le genre et le climat, les femmes agricultrices occupent une place importante. Cependant, malgré le fait que les problématiques liant femmes, agriculture et climat soient abordées depuis plus de dix ans au niveau onusien, il existe peu de données sur la question. Cette place centrale des agricultrices permet-elle une émancipation des femmes et une meilleure application de leurs droits ? Qu’en est-il des stéréotypes véhiculés ? Comme en métropole, les femmes agricultrices partagent les mêmes caractéristiques, bien qu’elles soient plus prononcées du côté des Outre-mer. Quelques unes de ces caractéristiques communes sont la tendance à réduire les investissements et à mutualiser les moyens, l’investissement dans la filière bio, l’ancrage dans la communauté locale… Et, comme en métropole, les agricultrices connaissent plus de freins que les agriculteurs : moindre accès à la formation, moindre accès aux prêts bancaires… 

Comme partout dans le monde, et d’autant plus en Outre-mer, les femmes contribuent moins au dérèglement climatique mais le subissent plus. Sarah Mantah alerte sur le danger des stéréotypes essentialistes, qui voudraient que les femmes soient naturellement plus tournées vers la nature et la préservation de l’environnement, parce qu’elles sont femmes. Certaines institutions internationales associent encore les femmes et la nature. Les femmes ultramarines sont particulièrement victimes de ces stéréotypes. Sarah Mantah propose plutôt d’adopter une approche de genre, qui se base dans une perspective de développement durable, sans oublier les rapports de domination entre femmes et hommes. Face aux conséquences du dérèglement climatique que subissent les femmes, il faut un acte politique fort qui remette la question du genre au sein de toutes les discussions aux niveaux micro et macro liées au climat. Sarah Mantah recommande d’appliquer la même pensée que celle de l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, afin d’inclure systématiquement une perspective genrée. Actuellement, deux travaux abordent le triangle femmes, climat et Outre-mer : ceux du CESE et d’Anne Pastor.

Enfin, les stéréotypes et l’accès limité aux droits concernent aussi les communautés LGBT ultramarines. On observe en effet un continuum du sexisme, dont le paroxysme est la violence envers les personnes LGBT. Si elle existe également dans l’Hexagone, selon plusieurs rapports, la haine anti-LGBT est plus virulente dans les territoires des Outre-mer. Contrairement à la métropole, où la situation est toujours difficile, il y a une absence nette d’amélioration d’une génération à l’autre. Les facteurs sont multiples : le poids des stéréotypes, de la famille, celui de l’insularité et de l’interconnaissance, ainsi que l’imprégnation religieuse de ces sociétés. Il existe donc une France à deux vitesses, avec des violences décuplées et un manque de mobilisation politique outre-mer.

 

La diversité des engagements des femmes des Outre-mer

Lamia Mounavaraly a co-fondé l’association Aujourd’hui Les Citoyennes en partant d’un constat : les jeunes femmes réunionnaises s’approprient mal les luttes féministes. L’association offre donc des formations visant à réhabiliter l’histoire et la place des femmes sur ce territoire. L’île de la Réunion, comme d’autres territoires des Outre-mer, a en effet une histoire riche, que les jeunes générations s’approprient mal, par rapport aux générations plus âgées. Les figures féminines (la figure de la libération Heva) ou encore les événements historiques (la campagne des avortements forcés dans les années 1970) restent méconnus. Plusieurs jeunes chercheuses commencent néanmoins à étudier ces sujets. Il y a une réelle volonté des jeunes femmes de s’approprier cette histoire féministe et d’échanger dans des milieux intergénérationnels. L’association Aujourd’hui Les Citoyennes cultive donc des espaces de réflexion, permettant aux jeunes femmes de s’approprier leur histoire et les institutions locales. Elles luttent également pour une meilleure représentation des jeunes femmes dans les instances publiques de la Réunion.

Dominique Urbino, de son côté, insiste sur la question de l’ancrage territorial des luttes féministes. Le récent phénomène de réancrage et de re-territorialisation des luttes fait qu’on ne parle plus de l’Outre-mer mais bien des Outre-mer. Ce sont des territoires différents, avec des historicités différentes, bien que certaines problématiques, notamment féministes, s’entrecroisent, ces combats se recentrent dans les différents bassins. Ce réancrage territorial se fait également par rapport à la métropole : les combats se mènent depuis les Outre-mer, et il existe un mouvement circulaire d’échange entre les femmes qui y vivent et celles installées dans l’Hexagone.

Le combat féministe, contrairement à la métropole, est arrivé plus tard. En effet, comme l’explique l’autrice martiniquaise Corinne Mencé-Caster écoféministe mythologie du vivre femme : « L’émergence d’un discours proprement féminin a été retardé par le combat pour la reconnaissance et la dignité de l’identité antillaise avant d’être relayé par celui relatif au statut politique de îles (…) ». En politique, les femmes n’avancent donc pas forcément l’argument féministe, car il existe d’autres luttes, spécifique aux Outre-mer, qui s’entrecroisent et sont considérées prioritaires. Les nouvelles générations changent cela. Aujourd’hui, elles s’engagent en politique en affirmant leur statut de femmes ultramarines. Le syncrétisme entre toutes les luttes est une des plus belles avancées générationnelles, selon Dominique Urbino. 

« Les nouvelles générations s’avancent en tant que femmes politiques pour leurs territoires (…) Elles ont réussi à faire le syncrétisme entre toutes les luttes » -Dominique Urbino

Enfin, côté sociétal, Dominique Urbino constate un mouvement, chez les jeunes générations, de réappropriation et de figuration du corps. Elle cite l’exemple du Balance ton Porc en Martinique, une initiative très violente, après un silence subi par les victimes, qui a donné la parole aux martiniquaises. Les jeunes femmes des Outre-mer s’inscrivent dans la quatrième vague féministe : elles s’affirment, elles parlent de leurs corps, elle disent les choses. Les jeunes ultramarines du bassin caribéen agissent avec leurs réalités, et se réapproprient les termes, tel que celui de potomitan (expression créole désignant la mère comme pilier du foyer familial) en y extirpant le côté positif. 

 

 

Retrouvez la conférence en replay ici

Ouvert à toutes et tous et gratuit !