Mardi de la CLEF #28 : La diplomatie féministe

Revue de presse féministe & internationale du 15 au 22 septembre
22 septembre 2023
Revue de presse féministe & internationale du 22 au 29 septembre
29 septembre 2023

Mardi de la CLEF #28 : La diplomatie féministe


Comment le rapport du HCE évalue-t-il la stratégie de diplomatie féministe de la France ? Quelles conclusions peut-on en tirer ? Qu’en est-il de l’avenir de la diplomatie féministe française ?

Ce Mardi de la CLEF a été modéré par Véronique Genelle, vice-présidente de l’association Elles Aussi, qui milite pour la parité dans les instances élues. Véronique Genelle a ainsi animé cette conférence réunissant Jocelyne Adriant-Mebtoul, présidente d’honneur de la CLEF et présidente et fondatrice de l’association Femmes du Monde et Réciproquement (FMR), ainsi que Nicolas Rainaud, responsable du plaidoyer chez Equipop, une ONG défendant les droits et la santé des femmes et des filles. Tous deux siègent au Haut Conseil à l’Égalité (HCE), où ils sont, depuis 2022, les co-président·es de la Commission « Diplomatie féministe, enjeux européens et internationaux » et, à ce titre, co-auteur·ices du rapport de l’institution sur la diplomatie féministe. Le HCE a en effet la double mission d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité, et d’évaluer les politiques publiques dans ces domaines. Logiquement, la Commission internationale du HCE évalue donc les politiques du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE). 

Jocelyne Adriant-Mebtoul a insisté sur la dimension internationale des droits des femmes : il n’y a pas de frontière, les problématiques sont les mêmes, mais dans des degrés et registres différents. La conception du rapport du HCE a en effet eu lieu à un moment évident de recul des droits des femmes dans un monde post-Covid. Les conséquences de la pandémie ont retardé de 130 ans l’évolution des droits des femmes, du notamment à la hausse des mariages précoces ou à l’abandon scolaire de jeunes filles. Parallèlement, la part des régimes autoritaires a triplé en 30 ans dans le monde. Or, selon la co-présidente de la Commission internationale, les droits des femmes sont le baromètre des démocraties. Il serait donc nécessaire d’utiliser la diplomatie féministe comme un outil pour la paix et la démocratie à travers le monde.

« Les droits des femmes sont le baromètre des démocraties »

-Jocelyne Adriant-Mebtoul

La France est un des rares pays à s’être doté d’une politique étrangère féministe. Le concept de placer l’égalité femmes-hommes au cœur de la politique étrangère fut d’abord inventé en Suède en 2014 par Margot Wallström, alors ministre des Affaires étrangères. Le nouveau gouvernement, soutenu par l’extrême droite, a pourtant abandonné cette diplomatie féministe dès son arrivée au pouvoir. L’occasion de rappeler, une fois de plus, que rien n’est jamais acquis en matière de droits des femmes, même en Suède, pays pionnier dans l’égalité de genre… Suivant l’exemple de Margot Wallström, plusieurs Etats se sont dotés à leur tour d’une diplomatie féministe. La France a été le quatrième pays, après le Canada et le Luxembourg.

Ce rapport est le fruit d’une année de travail des expert·es sur le sujet. Les co-président·es de la Commission internationale ont auditionné des représentant·es, ambassadeur·ices et directeur·ices de ministères pour entendre leur approche et leur mise en oeuvre de cette diplomatie féministe. Le rapport évalue donc la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2018-2022. Si la stratégie a été lancée en 2018, l’acte de naissance de la diplomatie féministe française date de 2019. Plus précisément du 8 mars 2019, date à laquelle les ministres Jean-Yves Le Drian et Marlène Schiappa ont officiellement affiché l’ambition de la France dans une tribune. Comme le souligne Nicolas Rainaud, l’évaluation de la stratégie a donc été plus difficile puisque le gouvernement a rehaussé son niveau d’ambition en cours de route. 

L’idée du rapport est avant tout de poser les jalons pour la prochaine stratégie. Le rapport du HCE est structuré en trois grands axes qui servent aussi de principales recommandations : définir la diplomatie féministe, l’assumer (avec un portage politique au plus haut niveau) et la financer. La définition, ou l’absence de définition de la diplomatie féministe pose en effet problème. Depuis 2019, aucune définition officielle de ce concept n’a été donnée. Dans leur rapport, Jocelyne Adriant-Mebtoul et Nicolas Rainaud proposent donc une définition volontairement extensive, afin de guider le gouvernement dans sa conception. La définition du HCE insiste ainsi sur plusieurs expressions clés telles que « la solidarité avec toutes les femmes dont les droits fondamentaux sont bafoués dans quelque pays que ce soit » ou «  la liberté et la lutte pour l’abolition du patriarcat », que le MEAE pourrait inclure dans sa prochaine stratégie. Nicolas Rainaud rappelle cependant que lorsque le gouvernement aura adopté une définition claire, il faudra s’éloigner du conceptuel pour se concentrer dans le champ du concret, à savoir la défense des droits des femmes dans le monde, afin que les bénéfices touchent réellement les bénéficiaires de cette diplomatie.

Concernant le deuxième axe de recommandations, réclamant un portage politique plus assumé, les co-président·es dressent un bilan mitigé. Le sous-titre du rapport, « passer aux actes », évoque à lui seul la lenteur de la mise en place de la diplomatie féministe et le manque d’ambition. D’où le jugement d’un rapport « injuste » selon le MEAE. Des progrès sont cependant à souligner sur le volet interne de la diplomatie féministe, notamment avec l’augmentation du nombre de femmes ambassadrices et diplomates en général, qui portent cette stratégie. Nicolas Rainaud observe cependant un changement vers un portage de plus en plus assumé, et plus particulièrement depuis la sortie du rapport du HCE. La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s’est exprimée à plusieurs reprises sur le sujet, notamment à l’ONU en septembre, encourageant les autres Etats à adopter à leur tour une telle diplomatie. Le représentant permanent de la France auprès de l’ONU, Nicolas de Rivière, porte lui aussi un discours plus offensif qu’auparavant sur le sujet. Il est en effet crucial d’avoir un discours fort et mobilisateur défendant les droits des femmes à l’international, dans un contexte d’élargissement du bloc conservateur à l’ONU. La France, parce qu’elle s’est dotée d’une politique étrangère féministe, a un rôle de premier plan à jouer. 

Concernant enfin le troisième axe, celui des financements, le rapport du HCE plaide pour une augmentation des moyens financiers et humains. Grâce aux efforts de l’ écosystème féministe français, la France a déjà augmenté ses contributions à l’UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population). Nicolas Rainaud rappelle cependant qu’il ne faut pas restreindre le financement de la diplomatie féministe à l’aide au développement. De plus, après la publication du rapport du HCE, la France a renouvelé le Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF) à hauteur de 250 millions d’euros dans les 5 prochaines années.

Jocelyne Adriant-Mebtoul et Nicolas Rainaud espèrent donc que leurs recommandations seront prises en compte pour une diplomatie féministe mieux définie, véritablement assumée et plus financée. Bien que les progrès soient lents et timides, la mise en place progressive d’une diplomatie féministe dans plusieurs pays européens et latino-américains représente un véritable espoir pour le futur. 

 

 

Retrouvez la conférence en replay ici

Ouvert à toutes et tous et gratuit !