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Tribune libre – Michèle Baron Bradshaw

L’isolement des personnes âgées : plaidoyer pour les vieilles et les vieux


« On pensait la société darwiniste, obsédée par la performance, le passage du COVID-19, semble avoir remis la fragilité et la vulnérabilité au milieu du village, suspendant le tout économique pour les plus  faibles ». Les gestes solidaires se multiplient, la population s’est émue et scandalisée du sort des EHPADs et des tris supposés qui se faisaient pour les plus de 75 ans dans les hôpitaux. Est-ce à dire que les français ont une maturité civilisationnelle et que cela peut changer ?
Sur cette question des vieilles et des vieux, il y a bien des failles, collectives, qui durent depuis un moment. Tous les statisticiens savaient que la pyramides des âges allait se transformer, puisque la longévité s’est accrue, que les soins se sont généralisés, ensuite, que les bébés boomers nés à partir de 1945 devraient atteindre plus de 80 ans entre 2030 et 2040. Il y aura, autour de 2035, 2 millions de personnes de plus de 85 ans, majoritairement des femmes. « L’accroissement de la longévité est un phénomène anthropologique aussi important que la sédentarisation au néolithique », disait Claude Levy-Strauss.

Les pouvoir publics se sont montrés bien absents sur le sujet depuis des années. Quelques mesuresont été prises durant la canicule de 2003. Il y a deux ans, la réforme annoncée, après la mobilisation sociale dans les EHPADs, peu de choses ont changé ; les vieilles et les vieux en EHPAD, ou isolés chez eux (majoritairement des femmes), les « aidants » pour personnes âgées (58% de femmes) n’étaient pas une priorité avant le passage du COVID-19. Le coût mensuel prohibitif des EHPADs, pour la plupart privatisées, n’effrayait que les familles. Le manque de personnel à résidence était vécu comme un fait à gérer au plus chiche. Sur ce sujet, comme pour d’autres, la pandémie sert de révélateur. Sans encore connaître les chiffres de la mortalité de cette population âgée, longtemps tenus secrets, l’opinion publique semble s’être réveillée. On commence à connaître ce qui s’est passé dans les établissements de soin, mais pas encore ce qui s’est passé pour les personnes âgées isolées chez elles, encore majoritairement des femmes. Au 17 mai, il y avait + de 10 000 morts répertoriés5 dans les EHPADs, sur plus de 27 000 morts dans la population. Les trois quarts des victimes avaient plus de 75 ans.  La transition démographique qu’impose la pyramide des âges, c’est-à-dire, assurer convenablement la santé et la dignité des anciennes et des anciens, doit devenir une des priorités publiques, au même titre que la transition climatique ou digitale. La solitude, souvent associée à la pauvreté, est un mal être qui tue par glissement désespéré, par renoncement aux soins 6000 personnes en situation de mort sociale sur le 1 million de personnes âgées isolées.

Les EHPADs ne sont pas les maisons de retraite d’autrefois. Aujourd’hui, les résidents y entrent souvent avec des pathologies lourdes qui demandent des outils adaptés et un personnels spécialisé suffisant. La fonction de ces personnels est aussi d’assurer un lien social, un lien avec l’hôpital et de faire face à la
fin de vie. Dans ces établissements « il faudrait, autant de soignants que de résidents 8», des soignants convenablement payés et considérés. Aujourd’hui, le ratio est de 0,6.
Le maintien à domicile, qui concerne 80% des plus de 85 ans, ne peut raisonnablement se faire que si le logement est adapté et que les infirmiers, les aides-soignants, les kinés, les aides ménagères se succèdent à un rythme quotidien suffisant. Une bonne partie de ces métiers de soin doivent être réhabilités, mieux
traités et mieux rémunérés. Les associations, qui assurent également un lien social et des aides d’urgence, doivent être aidées.
Les vieilles et les vieux isolés ou ceux des EHPAD n’iront pas défiler à la manif pour se faire entendre. Nous devons être leur voix. Mais tous les plus de 70 ans ne sont pas pauvres et diminués physiquement. Les jeunes retraités, considérés comme « vieux » par les gestionnaires de l’épidémie, mais intégrés socialement et en bonne santé, sont aussi des forces vives importantes.
Les retraité(e)s aujourd’hui ont changé et irriguent la société de leur dévouement bénévole : ce sont elles et eux qui gardent les petits enfants en recours , qui font vivre les associations, qui transmettent et aident financièrement les enfants. Ce sont elles et eux, qui, la plupart du temps, se transforment en« aidant » de personnes malades ou vulnérables, surtout les femmes. Ils représentent une économie invisible, essentielle au tissu social. Or, on a alourdi la CSG, on a figé les retraites, le tiers payant s’aggrave, les assurances également. Le gouvernement guigne les économies de prévoyance. On a constaté, au moment où la CSG sur les retraites est apparue, que les associations humanitaires, ou à vocation sociale, perdaient une grande partie de leurs dons, très souvent faits par les retraité(e)s de la classe moyenne. Beaucoup d’associations caritatives sont actuellement en rupture de moyens pour continuer à fonctionner, faute de subventions.
Depuis plusieurs années, rien n’est fait en direction des personnes âgées, pour les transports publics (escaliers, couloirs, insécurité, bousculades), pour l’aménagement des parcs publics, pour l’adaptation des logements (moins de 10% sont adaptés). Le mot d’ordre à la mode est de se tourner vers le tout bicyclette pour se déplacer dans les agglomérations ; ce que bien des seniors ne peuvent plus pratiquer.
En ville, les trottinettes, les vélos, les planches à roulettes slaloment impunément au milieu des piétons âgés, apeurés, qui craignent les chutes et les accidents. On leur restreint l’espace et les transports publics. Qu’adviendra-t-il de cette nouvelle mission de lutter contre l’isolement des personnes âgées, confiée à
Jérôme Guedj dans l’émotion épidémique ? Un rapport de plus ? Un plan d’action doté de moyens suffisants ? Quand ? Une révision du coût des EHPAD ? Des formules satisfaisantes de maintien à domicile ? Des hébergements intermédiaires, accessibles financièrement, qui ne soient pas essentiellement aux mains d’entrepreneurs privés ? Une réhabilitation des métiers de soins, et pas seulement pour le personnel hospitalier ?

S’indigner ne suffit pas. Il faut passer à l’exigence de l’action, après analyse de l’état des lieux et des scandales sous-jacents, accompagnée d’une définition de ce que nous voulons pour les personnes âgées et surtout pour les vieilles, reléguées et isolées.

 

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Michèle Baron-Bradshaw, Réussir l’Egalité Femmes-Hommes

 

 

 

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