La candidate Harris : combattre les anti-choix et les fausses informations
En cette semaine marquée par la Journée mondiale pour le droit à l’IVG ce samedi 28 septembre et alors que les élections américaines approchent, le débat sur l’accès à l’avortement occupe une place centrale.
Depuis l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour Suprême en juin 2022 sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis sont confrontés à des disparités marquées en matière d’accès à l’IVG. Tandis que certains États renforcent les interdictions, d’autres s’efforcent de maintenir ce droit fondamental. Mais la conséquence directe de ces restrictions est tragique.
En août 2022, Amber Thurman, 28 ans, a succombé à des complications évitables après avoir pris une pilule abortive. En Géorgie où elle résidait, l’avortement venait d’être déclaré illégal après 6 semaines de grossesse, et les médecins risquaient 10 ans de prison s’ils réalisaient un avortement passé ce délai. Amber Thurman, mère d’un petit garçon qu’elle élevait seul, a découvert une grossesse de jumeaux alors qu’elle était enceinte de 6 semaines. Elle et sa meilleure amie se sont rendues dans l’Etat voisin, en Caroline du Nord, pour avoir accès à la pilule abortive. Elle a subi des complications suite à la prise de la pilule abortive appelée « mifeprestone », complications rares selon la FDA (Food and Drug Administration). De fait, Amber Thurman, souffrant d’une septicémie, avait besoin d’un “curetage” afin de retirer les tissus restant dans l’utérus. L’avortement étant illégal dans l’Etat de Géorgie où Amber Thurman était hospitalisée, l’équipe soignante a attendu 20 heures avant d’effectuer de l’opérer. Son cœur s’est arrêté de battre sur la table d’opération. D’après une commission dédiée de l’Etat de Géorgie, le décès d’Amber Thurman serait le premier décès « évitable » directement en lien avec la fin de Roe v Wade. Lors d’un meeting à Atlanta le 20 septembre, Kamala Harris a vivement dénoncé les conséquences des restrictions à l’avortement, en mentionnant le décès d’Amber Thurman : « Amber Thurman devrait être en vie aujourd’hui […] Une femme sur trois aux États-Unis vit dans un État où l’avortement est interdit à cause de Trump ».
Depuis que la Cour Suprême a abrogé l’arrêt Roe v. Wade, qui garantissait l’avortement comme un droit constitutionnel, par l’arrêt Dobs, chaque État peut décider de ses propres lois concernant l’avortement. À ce jour, l’avortement est totalement interdit ou sévèrement limité dans 22 États. Cette question est au cœur de la campagne de Kamala Harris qui considère que l’accès à l’avortement n’est plus seulement une question de droits, mais de santé publique. Les retards et refus de soins créent des situations dangereuses pour les femmes, en particulier celles dans des situations de précarité. Les lourdes conséquences de ces lois restrictives s’inscrivent dans un contexte où les États-Unis connaissent déjà des taux élevés de mortalité maternelle. En 2020, ce taux atteignait 23 décès pour 100 000 naissances, soit 3 fois plus qu’en France, et il est trois fois plus élevé pour les femmes noires, avec 53 décès pour 100 000 naissances. Le 20 septembre 2024, lors d’un discours de campagne en Géorgie, Kamala Harris a fermement critiqué les « lois obscures et immorales » adoptées par les 22 États américains qui interdisent ou restreignent l’accès à l’IVG. Elle a dénoncé ces restrictions comme causant une « véritable crise sanitaire » dont Donald Trump est l’ « architecte ».
Dans sa campagne présidentielle, Kamala Harris a également produit une vidéo, diffusée mi-septembre sur les réseaux sociaux. On y voit Hadley Duvall, militante pour les droits à l’avortement, victime de viols commis par son beau-père dès l’âge de cinq ans, elle découvre une grossesse à douze ans. Hadley Duvall affirme :
« Je ne savais pas quoi faire. Mais j’avais des options. […] Aujourd’hui, parce que Donald Trump a renversé Roe v. Wade, les filles et les femmes à travers le pays ont perdu le droit de choisir, même en cas de viol ou d’inceste. Donald Trump nous a pris notre liberté. »
Pour défendre le droit à l’avortement, Kamala Harris a investi plusieurs dizaines de millions de dollars dans des publicités similaires et a fait témoigner des femmes lors de la Convention démocrate à Chicago. En parallèle, elle a lancé un « bus de la liberté reproductive » qui sillonne les États-Unis pour sensibiliser les électeur·rices, notamment dans les zones rurales. Kamala Harris s’est engagée à inscrire la protection nationale du droit à l’avortement dans la loi si elle est élue.
Lors du débat avec Kamala Harris, Donald Trump a déclaré que certains États dirigés par la parti Démocrates à l’instar de la Californie et New York autorisent l’« avortement après la naissance ». Cependant, cette affirmation a été rapidement corrigée par la modératrice du débat, Lindsey Davis, qui a souligné qu’il n’existe aucun État où les infanticides sont légaux. Kamala Harris a également répliqué l’insulte que ces mensonges représentait pour les femmes du pays.
Gouvernement Barnier : le déclassement des femmes et des droits des femmes
Le déclassement du droit des femmes avec le nouveau gouvernement de Michel Barnier suscite de nombreuses réactions.
Cette semaine, le nouveau Premier ministre Michel Barnier a annoncé la composition de son gouvernement. Ainsi, Michel Barnier a proposé aux Français·es une réorganisation des portefeuilles ministériels, notamment dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le député Paul Christophe a été nommé ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes et Salima Saa a pris la fonction de secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes sous sa tutelle. Ces nominations suscitent un certain nombre d’interrogations voire de colère au sein de la société civile et du mouvement féministe sur le déclassement de la question du droit des femmes.
Alors qu’un ministère de plein exercice était en place au début de la présidence de François Hollande, ce ministère s’est peu à peu vu perdre des places dans le rang protocolaire et de l’influence. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’un ministère à part entière mais d’un secrétariat d’état, avant dernier dans l’ordre protocolaire (38e sur 39). Salima Saa occupe ainsi un poste placé non sous la tutelle directe du Premier ministre, mais sous celle de Paul Christophe. Le choix d’une personnalité politique masculine pour diriger le ministère duquel le secrétariat d’état est rattaché a par ailleurs suscité des critiques de la part des associations féministes. De plus, bien que le gouvernement soit paritaire, tous les postes régaliens sont occupés par des hommes.
A ce sujet, la député Sandrine Josso déclare sur X :
« Je suis très inquiète pour l’égalité femmes-hommes concernant ce nouveau gouvernement, nous passons d’une ministre déléguée à une secrétaire d’état. En plein procès de Mazan, c’est un recul ! ».
Alors qu’aucune personne n’avait été nommée pour prendre en charge la question du handicap, le gouvernement a annoncé qu’une ministre chargée des personnes en situation de handicap allait être nommée, suite à la mobilisation des associations, alertant sur cette omission.
La “double peine” des victimes de viol et d’inceste
Le 26 septembre, la Fédération internationale des droits humains (FIDH) a publié un rapport intitulé « Double peine. Les survivantes de viol et d’inceste contraintes de poursuivre leur grossesse au Sénégal ».
Ce rapport met en lumière la situation dans laquelle se trouvent les femmes et les filles au Sénégal, forcées de mener à terme des grossesses issues de viols en raison de lois restrictives sur l’avortement.
En 2004, le Sénégal a ratifié le Protocole de Maputo, un texte de l’Union africaine qui garantit le droit des femmes à l’avortement médicalisé en cas de viol, d’inceste ou de mise en danger de la vie de la femme enceinte. Cependant, deux décennies plus tard, ces droits ne sont toujours pas appliqués dans le pays. Alice Bordaçarre, responsable du bureau Droits des femmes à la FIDH, déclare :
« le Sénégal a ratifié il y a 20 ans le Protocole de Maputo qui reconnaît comme un droit fondamental l’accès à l’avortement médicalisé. Cependant, la loi n’a pas changé en raison notamment de l’instrumentalisation de cette question par des acteurs anti-droits qui menacent les féministes et les organisations de la société civile qui militent pour le respect du droit ».
Au Sénégal, l’avortement clandestin est l’une des causes principales de décès maternel. De plus, les femmes encourent jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende si elles ont recours à un avortement. Entre 22 % et 24% des femmes incarcérées au Sénégal le sont pour avoir pratiqué un avortement.
Par ailleurs, le rapport de la FIDH souligne l’ampleur des violences sexuelles au Sénégal, malgré l’absence de chiffres officiels : cette absence s’explique par le peu de plaintes déposées pour ce type de violences et par l’omerta imposée par les pouvoirs publics. Une double violence pour les personnes victimes. De plus, le rapport dénonce un discours réactionnaire et conservateur qui s’est installé dans les administrations publiques, en particulier au sein du ministère qui devrait pourtant promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes : le ministère de la Femme, de la Famille et de la Protection des Enfants. En décembre 2023, ce même ministère a déclaré : « On ne va pas avancer sur le protocole de Maputo. Ce n’est pas le moment. Il y a des enjeux énormes qui risquent de déstabiliser notre société. L’enjeu, c’est de consolider l’équilibre sociétal et de s’assurer que les filles ne vont pas faire n’importe quoi. ». Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement en mars, les droits des femmes ont encore été relégués au second plan, le ministère ayant désormais pour unique priorité la famille.
Le rapport de la FIDH présente des témoignages illustrant la gravité de la situation. En 2014, une fillette de 11 ans, violée à Ziguinchor, a été contrainte de mener sa grossesse à terme et de donner naissance à des jumeaux. Un autre témoignage confie l’histoire d’une jeune femme de 18 ans, emprisonnée pour infanticide après avoir accouché d’un enfant mort-né à domicile à la suite d’un viol. Pour Alice Bordaçarre,
« La pénalisation de l’avortement est présentée comme dissuasive, mais c’est un leurre. Les taux d’avortement sont similaires dans les pays où l’avortement est légal. En d’autres termes, il n’y pas moins d’avortement au Sénégal malgré la pénalisation, mais les femmes en meurent. On ne peut pas se présenter comme étant pro-vie et contre la légalisation de l’avortement ».
Le rapport de la FIDH propose plusieurs recommandations. Il appelle le Sénégal à harmoniser sa législation avec ses engagements internationaux, en particulier en ce qui concerne l’accès à un avortement sécurisé, et à protéger les défenseuses des droits des femmes. Il dénonce également l’inaction de l’État face à la montée des mouvements anti-droits.
« Il existe une résistance sociale à ce sujet. Le débat s’ouvre, mais nous n’arrivons pas à faire prendre la décision par les autorités que les femmes ont le droit de disposer de leur corps », déclare Fatou Sow, sociologue sénégalaise et militante féministe.
https://www.humanite.fr/monde/droits-des-femmes/au-senegal-la-double-peine-des-victimes-de-viol
Procès d’un auteur de féminicide : du bruit pour lutter contre les violences faites aux femmes
Le 23 septembre 2024, Filippo Turetta, 22 ans, était jugé devant le tribunal de Venise pour le meurtre de sa compagne de l’époque, Giulia Cecchettin, commis le 11 novembre 2023.
Lors de son audition, Filippo Turetta a avoué avoir porté entre 10 et 13 coups de couteau à Giulia Cecchettin, dont le corps a été retrouvé le 18 novembre dans un ravin près du lac Barcis. Les expert·es avaient alors déclaré qu’elle avait subi plus de 70 coups de couteau sur la tête et le cou. L’accusé a justifié son acte par une « dispute » après que Giulia Cecchettin ait refusé de lui offrir une peluche et ait annoncé son intention de mettre fin à leur relation. Filippo Turetta encourt la prison à vie. Le verdict est attendu le 3 décembre.
Les funérailles de Giulia Cecchettin ont été marquées par l’appel de son père, Gino, à faire de sa mort un « tournant pour mettre fin au terrible fléau de la violence à l’égard des femmes ». Ce féminicide a suscité une vague de manifestations à travers l’Italie, notamment à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes le 25 novembre dernier. Lors de ces manifestations, la sœur de Giulia Cecchettin, Elena, a dénoncé les violences systémiques découlant du patriarcat et la culture du viol, encourageant la jeunesse à « faire du bruit » en opposition à la minute de silence proposée par Giorgia Meloni, Première ministre italienne.
Ce féminicide a fait écho à une réalité alarmante en Italie, où une femme est tuée tous les trois jours, souvent par un partenaire ou un ancien partenaire. En 2023, 120 femmes ont été assassinées dans le pays, dont 97 par des membres de leur famille ou des partenaires. Un rapport de 2021 a révélé qu’une proportion inquiétante d’hommes considérait la violence comme acceptable dans les relations. L’Italie, emprunte de racines majoritairement catholiques, voit persister des croyances sexistes à travers des rôles traditionnels et des comportements violents normalisés et associés à la masculinité. Le décès de Giulia Cecchettin a conduit le Parlement italien à adopter plusieurs lois pour renforcer la protection des femmes victimes, notamment pour accélérer le traitement de la prise en charge des femmes victimes, et de l’action de la justice vis-à-vis des agresseurs.
Néanmoins, des associations féministes estiment que des mesures plus profondes sont nécessaires, notamment l’introduction de cours spécifiques afin de sensibiliser tôt au caractère systémique des violences à l’égard des femmes, et notamment des violences sexuelles.
Ariana Gentili, de l’association « Differenza Donna », a rapporté une hausse des appels sur la ligne nationale dédiée aux victimes de violences sexuelles, atteignant 950 par jour après le meurtre, comparé à 150 auparavant. Ce féminicide a également résonné avec le film Il reste encore demain, de Paola Cortellesi, qui traite des violences conjugales. Sorti en 2023, le film a connu un grand succès, attirant près de 4,4 millions de spectateurs, devenant le film le plus visionné sur l’année.