Mardi de la CLEF #30 : En l’honneur d’Eleanor Roosevelt et Hansa Mehta

Revue de presse féministe & internationale du 8 au 15 décembre
15 décembre 2023
Revue de presse féministe & internationale du 15 au 22 décembre
22 décembre 2023

Mardi de la CLEF #30 : En l’honneur d’Eleanor Roosevelt et Hansa Mehta


Femmage à Eleanor Roosevelt et Hansa Mehta, pionnières et héroïnes de la Déclaration universelle des droits dits de l’Homme.

 

Ce Mardi de la CLEF a été modéré par Céline Thiebault-Martinez, présidente de la CLEF. Cette conférence rendait femmage à Eleanor Roosevelt et Hansa Mehta, deux femmes pionnières de la Déclaration Universelle des Droits dits de l’Homme, à l’occasion de son 75ème anniversaire le 10 décembre. Pour parler de ce sujet étaient conviées Delphine O, ambassadrice et Secrétaire générale du Forum Génération Egalité, Claudine Monteil, ancienne diplomate et présidente de Femmes Monde, et Julie Marangé, présidente de Feminists in the City. Ce Mardi était organisé en partenariat avec la Commission nationale française pour l’UNESCO et l’association Femmes Monde.

 

Julie Marangé est d’abord revenue sur les femmes et la diplomatie d’un point de vue historique. Et lorsque l’on parle d’histoire, une chose nous frappe : l’invisibilisation des femmes à travers l’Histoire de France. Cette invisibilisation est en réalité un euphémisme : les femmes n’ont pas seulement été invisibilisées, mais volontairement effacées du cours de l’histoire. En témoigne la prévalence du mot “homme” dans tous les textes de défense des droits humains. En 1791, suite à la révolution de 1789 et la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Olympe de Gouges dénonce la non-universalité de ce texte précurseur et écrit la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne… avant d’être guillotinée en 1793. En 1946, à la création de la IVème République, la Constitution fait état, pour la première fois, d’ « humain » et non d’ « homme ». Cette tendance est cependant rapidement renversée avec le retour de l’Homme dans la Constitution de 1958. Aujourd’hui, la France est un des seuls pays au monde traduisant la Universal Declaration of Human Rights par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

Concernant l’histoire de la diplomatie en France, le choix des mots a aussi eu un rôle dans l’invisibilisation des femmes. Avant que le concours ne s’ouvre aux femmes, le terme d’ambassadrice était réservé aux… femmes d’ambassadeurs. Claudine Monteil explique ainsi que tout au long de sa carrière de diplomate, on l’a souvent appelé « monsieur » ou « mademoiselle » et « madame » en fonction de son statut marital.

C’est en 1928 que le concours d’entrée s’ouvre aux femmes, avec plusieurs restrictions. La première femme à le passer est Suzanne Borel, première femme diplomate française. La porte ouverte est cependant rapidement refermée par l’élite masculine, qui referme le concours aux femmes. En 1939, Eve Curie réussit à passer les obstacles mais il faut attendre officiellement la fin de la Seconde Guerre mondiale pour rouvrir le concours. Ce n’est qu’en 1972 qu’une femme, Marcelle Campana, devient la première femme ambassadrice (au Panama). Et en 1986, Isabelle Renouard devient la première femme directrice en administration centrale. Aujourd’hui, 39 des 160 ambassades françaises dans le monde sont dirigées par des femmes.

 

Claudine Monteil a ensuite évoqué sa carrière de diplomate et ses 12 années passées aux Nations Unies au sein de plusieurs institutions. C’est à New York, dans une bibliothèque dédiée à la Déclaration universelle des droits dits de l’Homme, qu’elle a pu découvrir la véritable histoire de ce texte et nous la partager à son tour, en mettant en lumière les deux femmes derrière cet outil.

A l’origine de la Déclaration universelle des droits dits de l’Homme (DUDH) est une équipe majoritairement masculine : 16 hommes et seulement 2 femmes participent directement à la rédaction du texte fondateur de notre système actuel de protection des droits humains. Malgré quelques points en leur faveur (la création d’une sous-commission de la condition de la femme en 1947 et le support de Charles Malik, rapporteur à l’écoute des revendications des femmes, celles-ci vont devoir se battre pour faire entendre leurs demandes et inclure les femmes au sein de la DUDH. 

Deux femmes vont jouer un rôle de premier rang lors de la rédaction de la DUDH : l’américaine Eleanor Roosevelt et l’indienne Hansa Mehta, que nous mettons à l’honneur à travers ce Mardi de la CLEF.

Eleanor Roosevelt, nommée Présidente du Comité de rédaction de la Déclaration, va tenir un rôle prépondérant tout au long du processus d’écriture de ce texte. Son parcours de vie hors du commun l’amène à s’engager dans la lutte pour les droits civils et les droits humains en général, aux Etats-Unis puis à l’ONU. 

Dès 11 ans, elle est sensibilisée à ces questions grâce à sa relation privilégiée avec Marie Souvestre, la directrice française et féministe de son école privée au Royaume-Uni. A son retour aux Etats-Unis, Eleanor épouse Franklin Roosevelt, futur président américain. A la Maison Blanche, où elle restera 12 ans, elle est une First Lady proactive. Elle s’engage par exemple dans la lutte des femmes travailleuses pour améliorer leurs conditions de travail, puis en faveur de la communauté afro-américaine. Animée d’un esprit de justice sociale, engagée auprès des populations les plus vulnérables, présente sur tous les fronts, Eleanor Roosevelt devient rapidement très populaire dans son pays. Mais ce n’est qu’en 1945, à la mort de son époux, que l’ancienne première dame embrasse une carrière plus indépendante. Elle rejoint la délégation américaine aux nouvelles Nations Unies sur la demande du président Truman, qui compte sur sa popularité. Mais, au milieu des hommes diplomates américains, sa voix n’est pas entendue. Elle est nommée à la commission chargée des questions humanitaires, culturelles et économiques, dans l’objectif de la rendre inoffensive. Eleanor décide alors de se tourner vers l’opinion publique, avec qui elle communique via l’écriture de sa rubrique quotidienne My Day, afin de faire connaître les thèmes qui lui sont chers, à l’instar des droits des femmes à l’ONU. En 1946, elle est élue à l’unanimité présidente de la commission chargée de rédiger la DUDH. 

Hansa Mehta, quant à elle, est une figure de l’indépendance en Inde, pour laquelle elle se bat aux côtés de Gandhi. Le 15 août 1947, elle présente le drapeau indien au nom des femmes indiennes. Elle participe également à la rédaction de la Constitution indienne, où elle plaide pour les questions concernant les femmes. Hansa est aussi la première femme à occuper le poste d’ambassadrice de l’Inde auprès de l’UNESCO. Elle rejoint en 1947 la Commission des droits de l’homme des Nations Unies en tant que déléguée indienne. 

Hansa Mehta et Eleanor Roosevelt, en tant que seules femmes rédactrices, vont mener un combat de longue haleine lors de la rédaction de la DUDH, afin que le texte soit clair et sans ambiguïté concernant l’inclusion des femmes. Leur première bataille concerne le préambule de la déclaration, écrit par René Cassin et Charles Malik. Premier problème : le préambule ne mentionne pas les femmes, et parle seulement d’une « fraternité entre les hommes ». Il faudra plusieurs mois de négociations pour que la commission accepte de remplacer le terme « hommes » par celui, plus inclusif, d’ « êtres humains ». Hansa Mehta se bat parallèlement pour que cette déclaration ne soit pas uniquement celle des pays occidentaux. C’est à elle que nous devons l’inscription de l’enseignement élémentaire, et non pas seulement de l’enseignement secondaire, dans le texte.

Plusieurs autres femmes diplomates, bien qu’elles ne fassent pas partie du comité de rédaction, ont également participé ponctuellement au plaidoyer pour l’inclusion des femmes dans la DUDH. Minerva Bernardino, de la République dominicaine, une des 4 femmes signataires de la Charte des Nations Unies en 1945, s’est battue pour que le préambule de la DUDH mentionne l’égalité entre les femmes et les hommes. La Française Marie-Hélène Lefaucheux, Présidente de la Commission de la condition de la femme, a plaidé en faveur de l’inclusion du sexe comme critère de non-discrimination à l’article 2. De son côté, la Pakistanaise Begum Shaista Ikramullah a négocié l’introduction des droits égaux au regard du mariage à l’article 16, afin de lutter contre le mariage des enfants et les mariages forcés. On doit enfin à Evdokia Uralova, de Biélorussie, l’article 23 qui consacre l’égalité salariale entre femmes et hommes.

Après près de 25 discours, 83 réunions, 170 amendements, la DUDH est finalement présentée à la Sorbonne à Paris par Eleanor Roosevelt, le 28 septembre 1948. Le 10 décembre, le projet est adopté, sans aucune voix contre. Pourtant, longtemps après, Hansa Mehta et Eleanor Roosevelt n’ont reçu aucune reconnaissance pour leur travail fondamental. René Cassin a pourtant été récompensé d’un Prix Nobel pour avoir rédigé la Déclaration. En 2007, une plaque a même été déposée en l’honneur de René Cassin, sans mention d’Eleanor, qui était pourtant la présidente du comité.

 

Comment les choses ont-elles changé depuis ? 

Delphine O, plus jeune ambassadrice nommée en France, nous partage son expérience de femme diplomate et sa vision des avancées en matière de droits des femmes. Pour en revenir au débat sémantique entre droits de l’Homme et droits humains, la traduction de la Universal Declaration of Human Rights est aujourd’hui un sujet débattu au sein du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Au Quai d’Orsay, certain·es plaident en faveur du terme « droits humains », comme revendiqué par le Haut Conseil à l’Egalité (HCE) et les organisations féministes. Cela refléterait la terminologie utilisée dans toutes les autres langues du monde mis à part le français.

Quant au contenu de la DDUH, Delphine O reconnaît qu’il n’est pas extrêmement progressiste en matière de droits des femmes. Après son adoption, il faudra attendre une trentaine d’années pour que soit proposée une convention onusienne spécifique aux droits des femmes. En 1979, l’Assemblée générale adopte la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF). Cette convention marque le début d’une véritable époque dorée en matière de droits des femmes : la décennie des Nations Unies sur les droits des femmes (1975-1985), la Conférence du Caire (1994) et enfin la Déclaration et la Plateforme d’Action de Pékin, en 1995.

Aujourd’hui, les droits des femmes sont devenus un objet de lutte au niveau géopolitique international, comme ça n’avait jamais été le cas. Le contexte actuel permet moins de consensus que dans la période dorée. Les Etats sont en effet profondément divisés sur les droits des femmes et on assiste en parallèle à la montée en puissance d’Etats conservateurs militant pour la régression de ces droits. Les attaques contre ces droits sont particulièrement virulentes depuis une quinzaine d’années. Les mouvements anti-féministes sont financés à hauteur de milliards de dollars. 

Un nouvel outil permettant de lutter en faveur des femmes et de leurs droits est apparu entre-temps : la diplomatie féministe, dont la France s’est dotée en 2019. Delphine O la définit comme la reconnaissance officielle des droits des femmes en tant que priorité de politique étrangère et priorité géopolitique. Une politique étrangère féministe permet de réaffirmer l’engagement d’un Etat envers ces sujets, qui sont devenus aujourd’hui très politiques et difficiles. L’ambassadrice lance donc un appel à l’action : il est crucial de continuer à se mobiliser et soutenir les organisations féministes qui œuvrent à côté des diplomates pour défendre ces droits et les mettre en œuvre sur le terrain.

 

Dans sa conclusion, Céline Thiebault-Martinez a fait le lien sur cette histoire des femmes et l’Histoire que nous vivons actuellement en France en matière de droits des femmes, en faisant référence à la constitutionnalisation de l’IVG. Le 12 décembre, le projet de loi visant à inscrire la liberté de recourir à l’avortement a été présenté en Conseil des ministres, et pourrait être adopté par le Congrès le 5 mars 2024. Cette possibilité illustre parfaitement : après le recul des droits des femmes américaines suite au renversement de l’arrêt Roe v. Wade, les féministes françaises ont su se saisir du moment pour protéger le droit à l’IVG en France et éviter une situation similaire. Si le projet de loi est adopté, il deviendrait un instrument de taille dans la diplomatie féministe française. Actuellement, aucun pays ne protège le droit à l’IVG dans sa Constitution.



Retrouvez la conférence en replay ici

Ouvert à toutes et tous et gratuit !