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Tribune libre – Marie-Hélène Franjou

RAPPELONS TOUT DE MÊME CE QU’EST LA PROSTITUTION

Les opposants à la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ont rédigé une réponse à son évaluation par les Inspections Générales des Affaires Sociales, de l’Administration et de la Justice.

Nous ne nous étonnons pas de leur opposition systématique à tous les chapitres de la loi, nous la connaissons de longue date.

Nous ne nous étonnons pas de la faiblesse des moyens de démonstration pour convaincre que cette loi serait mauvaise et à l’origine de plus de vols, de plus de violences, de plus de décès, aucune étude comparative valable venant à l’appui de cette vision.

 

Rappelons d’abord tout de même ce qu’est la prostitution et ce qu’elle entraine comme conséquences sur la santé et la vie des personnes.

Andrea Dworkin[1] nous ramène très utilement « aux éléments de base ».   « la prostitution qu’est-ce que c’est ? C’est l’utilisation du corps d’une femme pour du sexe par un homme. Il donne de l’argent, il fait ce qu’il veut. La prostitution n’est pas une idée… C’est la bouche, le vagin, le rectum, pénétrés d’habitude par un pénis, parfois par des objets, pénétrés par un homme et un autre, et encore un autre, et encore un autre… voilà ce que c’est »

Et elle ajoute un peu plus loin: « la prostitution est un viol tarifé »

La prostitution n’est faite que de violences sexistes, sexuelles et de viols et a des  conséquences gravissimes sur la santé, et ce, d’autant plus quand des violences subies pendant l’enfance ont déjà fragilisé les personnes comme c’est souvent le cas.

Espérance de vie très écourtée, taux de mortalité très supérieur à ce qu’il est dans la population générale  dû notamment à des féminicides mais aussi à l’usage de drogues (pour supporter l’insupportable), à des accidents, à des maladies chroniques non traitées.

Six fois plus de viols  dans cette population qui, avec les autres violences sexistes et sexuelles, font le lit du stress post-traumatique – au même titre qu’un traumatisme de guerre – et de ses propres conséquences qui, comme on le sait aujourd’hui, vont au-delà de l’impact neurologique pour diffuser leurs effets sur tout l’organisme, systèmes cardiologique, endocrinologique, immunitaire…

Toutes ces violences vécues multiplient par 5 ou 6 les risques d’être victimisée, c’est-à-dire d’être à nouveau la cible de nouvelles violences, par 5 ou 6 les risques de dépressions, par 19 les tentatives de suicide

La liste est encore longue des répercussions sur la santé de la précarité vécue, du manque d’hygiène, de l’alimentation déséquilibrée et/ou insuffisante, de l’isolement dans un contexte hostile et inconnu.

Et bien sûr, il convient de ne pas oublier les possibles contaminations par le VIH, les autres IST et les grossesses non désirées.

 

La loi de 2016 aurait aggravé toutes ces violences ?

Avant la loi, un médecin expert près la cour d’appel de Rennes témoigne :

Les femmes qu’il a rencontrées  et examinées à l’occasion de ses expertises  « ont été exposées aux violences de la part des clients, incluant des menaces avec couteaux ou pistolet, des positions acrobatiques imposées avec les membres liés au lit, des photos pendant les relations sexuelles et des ébats avec plusieurs clients. Elles ont aussi fait l’objet de brûlures de cigarettes assez récurrentes sur les seins et la face interne des cuisses… »

Dans cette atmosphère de violences, bien difficile de refuser un acte sexuel non protégé : « Aucune  n’a eu de rapports à 100% protégés d’où le nombre important d’IVG pendant la période de prostitution (> 60%) et de périodes douloureuses s’apparentant à des salpingites aigues (>50%) »

Lors de ses examens, le médecin retrouve des  lésions des organes génitaux entrainant des cicatrices très douloureuses et susceptibles d’affecter la vie sexuelle ultérieure, y compris pour des rapports désirés. Les infections récurrentes transmises sont souvent à l’origine de stérilité.

 

Nous ne nous étonnons pas non plus de l’attaque particulièrement forte de la pénalisation des clients, c’est ce qui dérange le plus.

Qu’elles soient ou non victimes de traite ou d’un proxénète, les personnes en situation de prostitution  sont néanmoins toujours victimes des acheteurs d’actes sexuels, et ce, dès la première passe quand elles perdent leur statut d’être humain pour devenir un simple instrument, acheté par l’argent ou un service, et destiné au plaisir sexuel de l’acheteur. Quasiment toujours un homme, ce dernier se soucie surtout de lui-même et ne cherche pas à savoir ce qui peut être à l’origine de la situation de la personne qu’il maltraite ou ce que peuvent être les conséquences de ce qu’elle vit.

Proxénètes, réseaux et clients sont co-auteurs et co-responsables de toutes les conséquences de la prostitution sur la vie et la santé de leurs victimes.

Et les demandes des clients sont à l’origine du marché florissant de la prostitution dont les principaux bénéficiaires ne sont pas les personnes prostituées mais bien les proxénètes et les réseaux.

Pour prévenir toutes ces violences dont sont victimes les personnes prostituées, la loi interdit l’achat d’actes sexuels.

Les hommes auraient-ils des besoins sexuels si impérieux qu’ils n’auraient pas la capacité de les contenir, ne seraient-ils que des mâles soumis à des poussées inopportunes et intempestives de testostérone ? Il est plus vraisemblable que les acheteurs  trouvent plus simple de se servir de leur position dominante pour imposer un acte sexuel par l’argent ou par la force.

D’où la nécessité d’éduquer ces derniers pour leur faire entendre ce que veulent dire le respect d’autrui et l’égalité entre les unes et les autres.

L’évaluation de la loi par l’IGAS a été publié le 24 juin 2020, la réponse des associations souhaitant maintenir le système prostitutionnel n’a pas tardé.

Nous venions de sortir de la période de confinement instituée pour lutter contre la pandémie au Covid 19 et pendant laquelle la plupart des media français se sont émus des difficultés financières des personnes prostituées résultant de l’absence soudaine de clients. Découvrant leur grande précarité, ils l’ont fait connaitre et c’était important pour que leur «libre choix » d’être asservies soit compris!

Mais curieusement, les dits media n’ont pas parlé alors de « prostitution » mais de « travail du sexe », de « métier » et de « prestations », de « travailleurs du sexe » ou de « tds ». Un langage identique à celui des associations opposées à la loi.

Ces termes sont directement empruntés aux pays dans lesquels les proxénètes sont aujourd’hui des chefs d’entreprises du fait de la légalisation de leur « profession », entreprises dans lesquelles la majorité des femmes sont contraintes par un réseau ou la misère. La santé et la vie des femmes en situation de prostitution est le dernier souci de l’industrie du sexe qui les jette sans hésiter quand elle ne peut plus s’en servir.

L’Amicale du Nid  est engagée pour l’abolition de la prostitution depuis son origine en 1946. Le rapport de l’IGAS présente les résultats positifs de la loi du 13 avril 2016,, elle fonctionne là où elle est appliquée, il souligne aussi ses insuffisances d’application. Nous faisons les mêmes observations et c’est pourquoi nous souhaitons que la loi soit pleinement appliquée et dans tous les territoires.

Nous voudrions pour finir évoquer la réponse de la directrice générale d’ONU Femmes international Phumzile Mlambo-Ngcuka (10 juillet 2020 sur le « North America and Europe CSW Caucus »  à une question du Lobby Européen des Femmes :

« Notre conviction profonde à ONU Femmes est que toutes les femmes impliquées dans cette industrie [ de la prostitution] sont des victimes, qu’elles se reconnaissent comme des travailleuses du sexe ou non, qu’elles voient cela comme un travail ou non, nous les considérons comme des victimes, et les acheteurs de ces services comme des coupables de violence envers les femmes…   Parce que nous pensons que ce n’est pas quelque chose que les femmes font par amour de cette activité, qu’il s’agit de la chose la plus désespérée, la plus malsaine qui peut arriver, la chose la plus indigne qui peut arriver à n’importe quelle femme. Telle est la position que nous adoptons. »  

 

 

Marie-Hélène FRANJOU,

membre de la CLEF,

Médecin de Santé Publique

et Présidente de l’Amicale du Nid

 

 

Ces tribunes n’engagent que leur(s) autrice(s).

 

 

http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_renfort_lutte_systeme_prostitutionnel.pdf
https://amicaledunid.org/actualites/systeme-prostitutionnel-levaluation-de-la-loi-abolitionniste-du-13-avril-2016/
[1] Andrea Dworkin, « Pouvoir et violence sexiste », éditions Sisyphe, collection Contrepoint, Montréal, Québec, 2007