Il était une fois… le féminisme
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Femmage à Jacqueline Nonon

Jacqueline Nonon : une figure de l’Europe (1927-2020) 

 

La disparition de Jacqueline Nonon (21 février 2020), une des figures de l’Europe, semble s’être perdue dans les tensions politiques et sociales qui montaient alors, en France, autour du coronavirus. Elle était pourtant une très belle personnalité et une femme qui a beaucoup compté et beaucoup agi, dans les réseaux féministes, européens et associatifs de la deuxième moitié du xxe siècle.

Elle est née le 11 août 1927, à Laval, en Mayenne, d’une famille d’origine lorraine qui avait opté pour la France. Dans cette famille, la pensée de l’annexion était toujours là : et après la Deuxième Guerre mondiale, il fallait vraiment faire l’Europe… C’est grâce à une tante que Jacqueline fait des études supérieures. Comme beaucoup de femmes de sa génération, elle étudie l’anglais (une licence à Paris et une année universitaire à Londres). Elle voyage. (Allemagne, Belgique, Italie, Espagne) :

« Enfin — dit-elle —  j’avais un peu vu le monde et je trouvais qu’il ne fallait pas s’enfermer et c’est pour ça que j’ai cherché un emploi à la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) d’abord. […] Ce qui m’intéressait c’était de faire l’Europe, de sortir des guerres, en tant qu’originaire de l’Est de la France, de construire une Europe de rêve. »

Il n’y a pas de poste pour elle à la CECA, alors elle postule à la Commission européenne. Le 15 septembre 1958, elle intègre la Commission. À la fin des années 60, elle devient responsable des questions d’emploi, en charge des publics dits « difficiles à placer ». Bien sûr les femmes y sont en nombre et Jacqueline décide de s’y consacrer.  Elle travaille alors avec la juriste belge Éliane Vogel, l’avocate française Gisèle Halimi, les sociologues Evelyne Sullerot et France Govaerts, ou encore Fausta          Deshormes La Valle, responsable de la presse et des organisations féministes au sein de la Commission européenne. Ensemble elles créent une synergie très coordonnée pour obtenir des textes européens en faveur des femmes. Devenue chef du Bureau de l’emploi des femmes, Jacqueline Nonon occupe une place centrale dans les négociations sur la fameuse directive européenne 76/207, relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre femmes et hommes (accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle). Elle est consciente du potentiel de l’« Europe » en matière d’égalité et elle soutient l’action déterminée des associations de femmes (elle-même est fidèle à plusieurs associations dont l’Association française des femmes diplômées des universités) tant au moment des négociations que dans la mise en place des programmes européens qui s’ensuivent.

Deux ans plus tard, en 1978, le gouvernement français lui propose la Délégation à la condition féminine. Considérant qu’on ne lui donne pas les moyens de sa politique, elle claque la porte six mois après sa nomination. Elle rentre alors à Bruxelles, puis revient en France, en 1981 pour diriger le bureau de la représentation de la Commission européenne.

Elle termine sa carrière en France dans différents postes de chargée de mission.

Jacqueline Nonon était une grande professionnelle, une féministe experte, déterminée, courageuse, honnête, toujours discrète mais pour mieux faire aboutir ses projets, capable d’investir pendant trente-cinq ans les méandres de la construction européenne, pour le plus grand avantage de l’égalité femmes-hommes. Elle suscite toujours notre admiration et notre reconnaissance.

 

Sources
  • Christine Bard et Sylvie Chaperon, Dictionnaire des féministes, France xviiexxie siècle, Paris, PUF, 2017, voir la notice de Sandrine Dauphin, « Nonon Jacqueline, née le 11 août 1927 à Laval, Mayenne) ».
  • Jacqueline Nonon, L’Europe est ses couloirs. Lobying et lobbyistes, Paris, Dunod, 1991.
  • , L’Europe au pluriel. Douze pays au singulier, Paris, Dunod, 1993.
  • , « L’Europe, un atout pour les femmes ? », Problèmes politiques et sociaux, n° 804, 1999.
  • Sylvain Schirman, « Entretien avec Jacqueline Nonon », Histcom.2, Histoire interne de la Commission européenne 1973-1986, Université catholique de Louvain, Louvain-La-Neuve, 2010.

 

 

Nicole Fouché

Responsable de la Commission Europe et International

 de la CLEF (Coordination Française pour le Lobby Européen des Femmes).

Vice-présidente de Réussir l’Égalité femmes-Hommes.