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Tribune : Où sont les femmes ? Par Jocelyne Adriant-Mebtoul, présidente de la CLEF, publiée dans Le Monde le 16 mai 2020

Alors que les femmes sont partout au front dans la lutte contre le coronavirus, elles sont les grandes absentes des forums décisionnaires de la pandémie et de l’après.


On l’a dit et répété, la crise sanitaire, économique et sociale, qui traverse la planète et nous traverse, a non seulement bouleversé notre quotidien, mais nous oblige à repenser nos valeurs, notre mode de vie, notre modèle de société. Le Covid19 a pulvérisé nos certitudes. Sauf une. Chaque crise grave accroît les inégalités économiques et sociales, celle-ci plus que jamais. Et elle met crûment en lumière une évidence: les femmes paient le prix fort.
Depuis des semaines, ce sont les moins valorisés, les moins payés, les plus précaires qui ont risqué la contamination pour que la vie continue : le soin, la nourriture, l’accompagnement. Ce sont principalement des femmes.
Je n’oublie pas les hommes dans les métiers du soin, ni les éboueurs, routiers, livreurs en deux-roues de notre société uberisée, qui forcent eux aussi le respect. Il n’empêche, le compte n’y est pas. Ce sont les femmes qui sont en première ligne: soignantes (87% d’infirmières, 91% d’aides-soignantes), caissières de l’alimentation (76%), auxiliaires de vie en ehpad ou à domicile (97%), préparatrices en pharmacie (90%), enseignantes (71%), femmes de ménage des entreprises fermées.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), près de 200 millions d’emplois vont disparaître les mois à venir dans le monde. Là aussi, beaucoup d’emplois féminisés: économie formelle du tourisme ou de la restauration; économie parallèle, des marchandes ambulantes aux agricultrices familiales. Les femmes vont payer le prix fort de ces emplois perdus.

Ce n’est pas tout. En France, pays pionnier en santé sexuelle et reproductive, du fait de la concentration des moyens médicaux sur les urgences liées au virus, les associations de droits des femmes ont dû pousser les pouvoirs publics à adapter les conditions d’accès à l’IVG en temps de confinement. Dans de nombreux pays, la priorité centrée sur la pandémie des systèmes de santé a freiné l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive. Selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) l’impact de cette crise mondiale va être dévastateur sur les droits et la santé des femmes et des filles. L’accès restreint aux soins prénatals et de maternité, à la planification familiale, à la contraception, va faire reculer les droits de millions de femmes. L’interruption des programmes de prévention peut déclencher sur la décennie à venir une flambée des mutilations sexuelles féminines (2 millions de plus que les prévisions), des mariages d’enfants (13 millions supplémentaires) et les innombrables grossesses non désirées qui s’ensuivent. Sans parler des risques pesant sur la scolarité des filles, qui devront abandonner leurs études pour survivre ou s’occuper des plus vulnérables de leur famille.
Dans la sphère privée, les femmes paient encore le prix fort. Le confinement a décuplé les violences conjugales et intrafamiliales que subissent les femmes dans l’univers clos du foyer (+ 36% rien qu’en France). Au point qu’à l’appel de l’ONU « 143 pays se sont engagés à soutenir les femmes et les filles qui courent le risque d’être victimes de violences pendant la pandémie ». C’est dire l’explosion, partout sur la planète, de ces violences domestiques, exacerbées par le caractère anxiogène du confinement et le sentiment d’impunité des conjoints violents.
Enfin, on le sait, les femmes passent deux fois plus de temps à gérer le ménage et la scolarité des enfants que leurs conjoints. Leur conditionnement à croire qu’elles sont responsables de la maison est déterminant, mais l’attitude du conjoint aussi. Sans parler de ceux qui s’y refusent, beaucoup d’hommes défendent les principes d’égalité et de partage équitable des tâches, mais peinent au quotidien à prendre leur part de cette charge mentale.

 

Quel que soit le registre, les femmes sont en première ligne et paient le prix fort.
Et pourtant… Où sont les femmes à la table de décisions de la pandémie? Où sont-elles dans les instances de gestion de la crise économique et sociale inédite qui s’ensuit? Où, dans les cercles de réflexion sur le ‘monde d’après’? Où, sur les écrans de télévision ou les unes de la presse? Où sont les femmes quand il s’agit de délivrer une parole d’autorité?
Elles sont absentes. Les femmes sont à la peine quand il s’agit de soutenir, d’aider, d’agir, d’exécuter les gestes essentiels de la vie ou de la survie, de subir les premières les dégâts de la crise, mais elles disparaissent du paysage quand il s’agit de décider. Domaine réservé aux hommes.
Est-il sérieux que le conseil scientifique français mis en place pour conseiller le gouvernement dans la gestion du covid 19 soit composé de 11 membres dont 9 hommes et… 2 femmes? Veut-on nous faire croire qu’il ne se trouvait pas en France une demi douzaine d’éminentes virologues, infectiologues, épidémiologistes ou immunologues?
Faut il, en 2021, rappeler encore qu’on compte à peine 17% de femmes maires en France et moins de 10% maires de métropoles? Seulement 25% de parlementaires femmes dans le monde, à peine 10% des chefs d’État ou de gouvernement, malgré les exemples de cheffes d’État qui semblent gérer la crise avec maestria?
« Si nous plaçons les intérêts et les droits des femmes au centre de nos préoccupations, nous pourrons sortir plus rapidement de cette pandémie (….) dans l’intérêt de tous » affirmait récemment le secrétaire général de l’ONU.Il est temps en effet que nos gouvernants réalisent que l’égalité femmes hommes est une nécessité rendue encore plus impérative et urgente en cette période de crise, pour la société tout entière.